Le site des pionniers de l’aéronautique à Genève 
Des Genevois chez eux ou ailleurs et des étrangers dans Genève 
[article n° 179]
Création de la 1ère compagnie suisse d’aérostiers aux ordres de Théodore Schaeck (1897) [2 vidéos]

 

Si une compagnie militaire d’aérostiers existe un instant en 1783 (F), ce n’est que vers 1875 que les nations s’en équipent. En Suisse, malgré quelques tentatives il faut attendre 1897 pour voir naître cette structure. Sous les ordres du Genevois Théodore Schaeck, des pionniers sont formés puis se crée une école de recrus spécifique (1900). Les exploits d’aéronautes civils suisses auront influencé cette situation (E. Spelterini, A. Liwentaal) puis l’effet inverse se verra aussi jusqu’en 1925. La Cie d’aérostier vivra jusqu’en 1937.


Le 10 août 1901, les pionniers-aérostiers militaires s’apprêtent à utiliser un ballon captif et sa nacelle, près de leur hangar de Berne, devant leur officier encore à cheval (H. vonGugelberg).

Les débuts mondiaux de l’aérostation militaire

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De g. à d. : Lt E.Messner, Ober-Lt H.von Gugelberg, Lt K.Werner, col. Th.Schaeck, adj. A.Girsberger, Lt E.Blattner & H.Ott (1900).

Dès la naissance de la montgolfière en 1783 (voir : Récit), les militaires français s’emparent de cette nouveauté et créent déjà la 1e compagnie d’aérostier au monde, en 1794. A la bataille de Fleurus on peut ainsi observer précisément les mouvements des troupes autrichiennes. Mais 3 ans plus tard, la compagnie est dissoute, faute d’un usage évident. Le "plus léger que l’air" reste surtout un sport civil pour gens aisés. Durant la Guerre de Sécession aux USA (1861-65), le ballon connait un long usage militaire servant de plus à mesurer l’impact des boulets de son artillerie et débusquer les canons ennemis. Ferdinand von Zeppelin, observateur militaire étranger y puisera son propre intérêt qui se traduira par de futurs dirigeables. Mais c’est surtout durant le siège de Paris en 1870, encerclée par les Prussiens que les ballons réquisitionnés ou construits à la hâte servent à évacuer certaines personnalités et faire passer du courrier vital vers le reste de la France. Les grandes nations d’Europe constituent alors des unités d’aérostiers, dont la fonction est le renseignement, sauf en Suisse.

Deux hommes vont être les innovateurs du ballon en Helvétie. Du côté civil, ce sera Edouard Spelterini (1852-1931), Scheiwzer de son vrai nom, un Saintgallois qui s’envole dès 1880. En 43 ans et dans 17 nations, il entreprend 570 ascensions à 410 endroits différents et conduit 1.237 passagers, dont 100 passagères dans les airs. Du côté militaire il s’agit du Genevois Théodore Schaeck (1856-1911) qui sera bientôt à la tête des troupes d’aérostiers et fondra encore l’Aéroclub de Suisse. (voir : Biogr.). Les possibilités offertes par le ballon sur le champ de bataille n’échappent bien sûr pas à l’état major de l’armée suisse Dès les années 1880, ce dernier envoie des observateurs en France à Chalais-Meudon et à Paris. Il s’agit tout d’abord du cap. Ivan Strohl, puis le lt.-colonel Albert von Tscharner et enfin du 1e lieutenant Théodore Schaeck (dès 1891). Chacun fait son rapport sur les développements des militaires voisins et habitue les hauts gradés à distinguer les ballons, les appareils à fournir l’hydrogène, les treuils et câbles, les moyens de transport et de manutentions connexes dont les hommes.

Le 6 novembre 1891, un 1e essai de l’état-major visant à la création d’une troupe suisse d’aérostiers et l’achat d’un ballon captif échoue, surtout par suite de l’incompréhension du Conseil fédéral concernant ce "nouveau matériel de guerre". La demande n’est pourtant pas excessive. En comparaison, en France (1893), une compagnie d’aérostiers compte 3 officiers, 90 aérostiers et 30 soldats (=103) ; en Russie ce sont 15 officiers er 215 hommes (=230) ; en Italie il s’agit de 2 officiers, 52 aérostiers et 21 soldats (=74), la Suisse imagine un total de 74 hommes et de 8 chevaux. Mais le pertinent colonel Schaeck continuera à se faire mandater sur ce thème visitant régulièrement Paris ou Vienne et assistant aux manœuvres militaires française (1894, 1897) ou inspectant les productions d’aérostats de Chalais-Meudon.

Création de la compagnie des pionniers aérostiers suisses

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La foule des parents est venue voir ces nouveaux engins aériens.

Le développement civil de l’aérostation en Suisse finit par marquer les esprits les plus conservateurs. Spelterini traverse plusieurs fois les Alpes de Suisse en Italie avec passagers. L’exposition nationale suisse à Genève de 1896 sensibilise la majorité du pays alors que des dizaines de milliers de piétons y prennent leur 1e baptême de l’air (voir : Récit). Des émules se forment à ce sport dans toute la Suisse. Près de Genève on connait Xavier Kessler (1892-1935), Louis Kaeser (né en 1876) (voir :Récit), Eugène Baud (1866-1926), Louis Ansermier (voir : Biogr.) et d’autres qui y fondent d’ailleurs avec A.Liwentaal (voir : Biogr.) la 1ère association aéronautique de l’histoire suisse : l’Ecole Suisse d’Aérostation (sept.1896) qui se transformera en 1900 en Société Suisse d’Aérostation.

Aussi, en novembre 1896, le Bureau de l’état-major général réitère sa demande dans un mémorial proposant la création d’une compagnie de pionniers-aérostiers composée de 4 officiers, 72 sous-officiers et soldats (37 aérostiers, 35 soldats du train), 66 chevaux et 14 véhicules hippomobiles ainsi qu’un ballon, incluant sa voiture et les accessoires. Et le miracle se produit. Le 24 mai 1897 le Conseil Fédéral accepte la constitution d’une troupe d’aérostier qui est finalement acceptée par le Parlement le 14 décembre. L’enveloppe budgétaire comprend 153.300F de matériel, 13.850F pour les chevaux, 30.000F pour des bâtiments, un effectif de 4 officiers, 72 sous-offs et soldats et 8 chevaux. L’organisation est confiée au chef d’arme du génie, le colonel EMG Théodore Schaeck, chef de section de la division d’état-major général. Il est chargé du recrutement, de l’équipement et de l’instruction de cette troupe.

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Le ballon "Vagabond" prêt au vol le 3 août 1900.

A début septembre 1898, les premières recrues "aérostiers" sont appelées à Berne. Il s’agit de volontaires qui ont déjà fait leur école de recrue et possèdent certaines connaissances professionnelles propres à servir dans les troupes d’aérostiers. Le 31 mai 1899 on achète un terrain de 5.600m2 près de Berne-Wankdorf où l’on construit une halle à ballon, toujours existante, de 13,15x12,3m, haute de 7m, et ses annexes pour la troupe, les chevaux et tout le matériel, puis on aménage le terrain pour le gonflage (canalisations). Le matériel commandé est livré au fil des semaines : 2 aérostats, l’usine à hydrogène, les câbles et compresseur, les véhicules etc. Le 25 juillet Th. Schaeck reçoit l’ordre de débuter les activités de la compagnie.

Première école de recrue pour aérostiers

Sous les ordres de Schaeck, le commandant de l’école est le 1er lieutenant H. von Gugelberg. C’est le 27 juillet 1900 que les futurs pionniers de l’aérostat entament la 1ère école de recrues qui leur est spécifique. Cette centaine de militaires a pour mission de guider un ballon captif pour aider la cavalerie lors de missions de reconnaissance. L’instruction consiste en un écolage de 8 semaines qui se tiendra tous les 4 ans, entrecoupé tous les 2 ans d’un cours de répétition de 18 jours. Pour les cadres, une école de cadres s’étend sur 3 semaines complétée de cours spéciaux. Le fameux aéronaute français Edouard Surcouf (1862-1938) est chargé de la direction de l’instruction concernant la partie technique.

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Dégonfler et enrouler un ballon, sans chaussures, pour protéger l’enveloppe.

Un ballon captif sphérique de 600m3 (Surcouf) et un ballon captif militaire allemand long de 24m de couleur jaune ("saucisse") sont à l’inventaire, treuillés par un camion Surcouf. Le parc compte aussi 28 véhicules et 91 chevaux. Bien que Schaeck ait déjà volé plusieurs fois avec le sphérique, le grand jour des pionniers aérostiers se situe 3 août, lorsque ce ballon s’élève pour la 1e fois dans les airs au bout de son câble. Six jours plus tard, il échappe à tout contrôle et disparaît dans les nuages. Le lieutenant Messner (1875-1941) s’inquiète : "Nos espoirs sont presque anéantis. Sans ballon, comment poursuivre les activités de l’école ?". Ce n’est que le lendemain que l’on trouve le ballon complètement déchiré, dans une forêt de sapin à la hauteur de Bantigen (BE). Une équipe de 2 tailleurs s’évertue pendant 15 jours à réparer le ballon désormais baptisé "Le vagabond". L’histoire ne manqua pas de plaire aux détracteurs de l’aérostat.... La "saucisse" s’élève pour la 1ère fois le 17 août jusqu’à 600m, sans occupant dans la nacelle, retenue par son câble. Elle peut grimper jusqu’à 1.000m offrant une vue stratégiquement imprenable. Le 1er septembre Surcouf fait une autre ascension en sphérique

Le début de 25 années riches en ballons à gaz, civils ou militaires

Le monde civil suisse du ballon sera également bien influencé par l’existence des nombreux militaires aérostiers. En 1905, on compte 288 ascensions, 400 en 1906 et plus de 1.600 depuis la création de l’Aéroclub de Suisse (co-fondateur Th.Schaeck) en 1901. L’AéCS compte 552 membres à la fin 1909, principalement des ballonistes. Les aérostiers militaires vont jouer ensuite un rôle décisif dans la création et l’essor de l’aviation militaire suisse. Lors de la création tardive des troupes d’aviation en 1914 (voir : Récit) , la Cie d’aérostiers constitue l’unité de garde et de service. Elle perdurera jusqu’en 1937. Quant à Théodore Schaeck, il passe son brevet civil d’aérostier en 1904 qui porte le no.1, bien entendu. Mais son grand moment de gloire internationale, ainsi que celui de Messner, arrivera en 1908 (voir : Récit.).

 

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Le poids des hommes assis qui reculent finira par vider l’oxygène de ce ballon captif (vers 1900).
Par : Jean-Claude Cailliez
Le :  lundi 14 août 2006
  • Pour plus d’information, lire : Luftschiffer, die Ballontruppen der Schweizer Armee, de Carl Hildebrandt. Ed. Mayer & Soutter, Renens, 1992, 366p, ills n&b, à la "Librairie ".
  • [02.2008] Aérostiers miltaires, 1898-1918 (diaporama, n&b, sonore, 02’03, 44Mo). Nécessite le plugin QuickTime 7.1.3 minimum.

    - Ci- dessous : En 1938, le colonel aérostier morgien Alois Schmidt (né en 1890) filma l’activité de l’ultime exploitation des ballons captifs militaires transformables en petits dirigeables. Témoignage d’une activité qui dura 40 ans :

    [04.2014] Les derniers aérostiers militaires de Suisse filmés en 1938 (vidéo sonore, 22’). Une émission de la TSR de 1991 sur Notrehistoire.ch.

     
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