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[article n° 193]
Des sauts de "base-jump" dans le Rhône depuis le Pont Butin, par André Bohn et ses amis (1964)

 

Etre parachutiste à Genève en 1964 est plein d’embûches. Il faut fréquenter les autres cantons ou l’étranger pour pratiquer son sport avec l’ex matériel militaire seul disponible. Aussi, les Genevois André Bohn et Pierre Perrenoud vont imaginer de s’entraîner ou s’amuser chez eux en sautant dans le Rhône depuis le sommet du Pont Butin à la périphérie de la ville. Expérience réussie, elle est l’une des 1e traces en Europe du futur sport baptisé "Base jump" communément pratiqué avec un parachute après 1980.


Dans un parfait saut de l’ange, André Bohn se lance du sommet du Pont Butin à Genève (53m) en cette fin d’après-midi du 24 juin 1964, accroché à un parachute hemisphérique conventionnel (toutes photos : Mick Desarzens).

Un caractère décidé, l’envie d’innover dans un sport peu fréquenté : c’est André Bohn

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André Bohn, 22 ans, et Pierre Perrenoud sur le Pont Butin en 1964.

André Bohn est un Genevois né en 1942 qui va être fortement impressionné par le saut de 3 parachutistes à Cointrin au début des années 1950. C’est décidé, à 9-10 ans il sait qu’il sera plus tard parachutiste ! Il devra hélas attendre sa majorité pour pouvoir concrétiser son ambition qui n’a pas varié. Le déclic intervient en novembre 1963. Il est alors pompiste d’une station d’essence et voit un logo de parachutiste sur la voiture d’un client. Interrogé, ce dernier lui dit qu’il débute des leçons de parachutisme à Annemasse le soir même. André Bohn y sera présent ! C’est le début d’une vie dédiée aux sauts, aux vols, aux voilures souples (parachute, aile delta, parapente) marquée de nombreux succès et même d’événements à caractères mondiaux !

Bohn doit attendre juillet 1963, pour réaliser son 1er saut qui est effectué à Lyon. Sa détermination en est renforcée. Il va très vite devenir un expert dans son sport : brevet du 1er degré le 13 septembre 1963, et brevet du 2ème degré, incluant la chute libre, le 24 février 1964. Dans le canton de Genève on le verra sauter notamment sur Cointrin, Plainpalais (salon de l’auto), Choulex, La Rade (fêtes de Genève). Le 21 juin il a terminé 1er en saut individuel à son 1er concours à Yverdon. Mais il est très difficile de faire du parachutisme à Genève car le ciel local est encombré par les vols commerciaux, l’écolage de pilotes (Aéro-club) et surtout l’exploitation de l’aéroport de Cointrin. Il faut aller ailleurs (Yverdon, Sion, Ecuvillens, etc.) pour trouver un avion qui largue des paras et qui ne soit pas trop cher.

Le parachute hémisphérique utilisé alors est un matériel issu de l’armée française, prêté à divers clubs et écoles à de rares exemplaires. Passer la douane avec lui pour pratiquer ce sport est difficile, les douaniers sont alors trop pointilleux sur ce genre de matériel et Annemasse ne possède pas encore son école de saut officielle.

André Bohn et son copain Pierre Perrenoud réfléchissent alors pour savoir comment s’entraîner ou s’amuser plus souvent et plus facilement près de chez eux. C’est ainsi qu’ils imaginent de sauter depuis le sommet du Pont-Butin à la périphérie de Genève, dont le parapet est à 53m au-dessus du Rhône. N’oublions pas qu’en 1964, ni l’aile Delta ni le parapente ne sont en usage alors ! Le terme "Base jump" n’a pas non plus encore été inventé. Et pourtant cette expérience du Pont-Butin qui va déjà être tentée fin juin est un acte qui préfigure bien tout cela.

Du "Base jump" à Genève, des années avant son invention !

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Pierre Perrenoud effectuant son saut du 24 juin.

Au 19ème siècle, David Butin, ancien marchand de fer, légua à l’Etat la somme d’un million de francs pour l’établissement d’un pont sur le Rhône entre les communes de Lancy et de Vernier. Ce pont est fait de cinq arches de 48m, surmontées de cinq arcades, un tablier inférieur pour le passage des trains et un tablier supérieur de 244m pour la route. La construction débuta en 1916, il est inauguré en 1927 et coûta finalement plus de 11 millions d’alors. En 1964, le Pont Butin est étroit, la moitié de son tablier actuel. Il n’a que 2 voies pour le trafic automobile et un trottoir, il fait déjà partie d’un axe routier important.

Bohn organise cet essai de saut avec Perrenoud. Il aura lieu très tôt le mardi matin du 23 juin 1964, à 5H, pour éviter la circulation automobile. Se sont joints à eux d’autres parachutistes : le Genevois Jean-Claude Corminboeuf, Jean-Claude Rochat et sa très jolie compagne française de 22 ans. A cette date, Bohn possède déjà 104 sauts à son actif.

Il est exclu de sauter avec le parachute enfermé dans le sac dorsal car il n’aurait pas le temps de se déployer. Il faut sauter avec le parachute étalé dans sa largeur et posé sur le parapet du pont. Pour s’assurer qu’il s’ouvrira en moins de 25m, on le leste d’une poutre et l’on attache le sommet du parachute à une corde de 25m. On lance la poutre dans le vide et le parachute s’ouvre avec bonheur avant la tension de la corde.

Pour les essais par Bohn et Perrenoud on allonge la corde de façon à ce que la corolle ne touche jamais l’eau. Seuls le parachutiste et son harnais plongeront dans le Rhône sans être entraînés par le courant car retenus par la corde. Si par malheur, le parachute se mettait en "torche", le camarade situé sur le pont tirerait sur la corde en freinant légèrement la chute. Cela suffira à redresser le parachutiste, qui tombera à l’eau verticalement. La consigne en cas d’accident est de se tenir la tête à deux mains en protégeant particulièrement la mâchoire !

Qui de Bohn ou de Perrenoud saute le premier ? Mais le principe fonctionne bien. Après un saut de l’ange à plat, bras en croix, qui dure quelques secondes, un floc et le parachute s’ouvre. Le parachutiste arrive dans l’eau ralenti par sa coupole de nylon. Le sauteur courageux ouvre facilement son harnais et rejoint la berge à la nage. Depuis le pont on remonte le parachute au moyen de la corde pour le ou la candidate suivante. Tous les cinq sauteront dans le Rhône ce matin là. Pierre Perrenoud commente : "Je vous avoue que j’avais tout de même la trouille ! Cinquante-trois mètres c’est un peu juste ; je suis plus à l’aise au-dessus de mille mètres. Et le fait de sauter au-dessus du Rhône n’est pas plus rassurant ; en cas d’accident, tomber dans le fleuve ou sur une plaque de marbre revient exactement au même !"

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La corolle ouverte du parachute au pied du pont.

L’expérience est concluante, mais l’on n’a pas apporté d’appareil photo pour immortaliser l’exploit. On décide de prévenir la presse et de réaliser de nouveau sauts. Rendez-vous est pris pour le mercredi après-midi avec Bohn et Perrenoud. C’est le photographe Mick Desarzens qui est présent pour fournir des photos au quotidien "La Suisse". Bohn et Perrenoud sautent à nouveau. La préparation de l’événement a alerté les automobilistes empruntant le pont, qui s’arrêtent. Un bouchon est vide constitué. Du monde apparait sur la rambarde du pont. Bohn et Perrenoud exécutent avec succès leur saut de l’ange. Le photographe immortalise chacun et les photos paraîtront le jeudi 25 juin en exclusivité dans "La Suisse". La police est obligée de remettre de l’ordre dans la circulation sur ce pont. Certains diront que les parachutistes durent payer une amende pour "manifestation non autorisé, finalement payée par La Suisse" ce qui n’est en réalité pas avéré.

Faute de facilités genevoises, ces parachutistes vont aussi inventer le vol en parapente !

Les sauts du Pont Butin des 23 et 24 juin 1964 n’ont pas tenté d’autres adeptes, d’ailleurs peu nombreux dans le parachutisme d’alors. Pour André Bohn, c’était une expérience qu’il voulait tenter et elle était donc concluante. Il allait maintenant essayer d’autres défis, toujours porté vers l’avant et la découverte.

Quelques 14 ans avant l’invention du vol en parapente, cette expérience peut être considérée comme la première expérience de "Base Jump" en Suisse et l’une des premières en Europe avec celles d’Erich Felbermayer (Aut.) dans les Dolomites (I) la même année.

Le fait qu’être parachutiste dans la région genevoise ne soit pas un avantage pour pratiquer des sauts près de chez soi a donc été à l’origine des sauts depuis le Pont Butin. Dans plusieurs années, la nécessité de s’entraîner à des atterrissages de précision pour les championnats suisses de parachutisme va aussi être à l’origine d’une autre révolution, le 1er vol en parapente au monde, encore un exploit au crédit d’André Bohn (voir : Récit).

 

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Le pont Butin enjambe le Rhône à sa sortie de Genève (1971).
Par : Jean-Claude Cailliez
Le :  lundi 14 août 2006
  • Pour plus d’information, voir : La folle histoire du parapente, de Xavier Murillo. Ed. Glénats, 1989, 128p., ills, à la "Librairie ".
  • B.A.S.E jump = saut de Building (immeuble), Antenna, Span (pont), Earth (la Terre).

     
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