Le site des pionniers de l’aéronautique à Genève 
Des Genevois chez eux ou ailleurs et des étrangers dans Genève 
[article n° 222]
Les bouleversements du transport aérien dans les années 30 et la mutation de Cointrin (1929-1936) [3 vidéos]

 

Les pressions de la SdN, future ONU, des compagnies aériennes (taille des avions) et l’augmentation du nombre de passagers et du fret obligent Genève à redimensionner son aérodrome dans les années 30. Swissair naît à cette époque et débute un quasi-monopole dans lequel Genève ne compte pas pour grand-chose. C’est le début des grands travaux (piste en dur, etc.), qui ne cesseront pas malgré la guerre, pour créer le futur aéroport intercontinental de 1946. Le personnel local croît aussi et s’adapte !


Le Lioré & Olivier LO-213 "Golden Ray" de la compagnie Air-Union (F), en août 1932 dans un hangar de Cointrin (F-AIFE). Tout à droite le chef mécanicien Louis Demaurex (ph. : coll. J.L.Altherr).

Cointrin sort lentement de sa torpeur

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Nieuport-Delage Ni-D641 F-AJRA de la Cie STAR (F), été 1930.

L’aérodrome de Cointrin, inchangé depuis 1920, consiste en une surface gazonnée de 24h, de 2 hangars en bois de type militaire, d’un bâtiment d’administration (logeant la famille du directeur), d’un poste émetteur/récepteur TSF et d’un radiogoniomètre. En 1929 on crée un modeste restaurant-crémerie proche du bâtiment administratif (chalet en bois). Du côté philatélique, dès avril 1930, le cachet "Genève-Aviation" affiche dorénavant l’heure, codifiée de 1 à 24, imprimé en noir, rouge ou bleu. En 1931 un 3ème hangar en maçonnerie et charpente métallique est terminé pour accueillir les plus gros avions. Le 1er a été mis en chantier au printemps 1926, le 2ème en 1928. Le trafic est essentiellement diurne, car les vols se font avec la visibilité au sol. Mais des installations pour le vol de nuit sont déjà mises en service, comprenant le balisage du pourtour de la piste et un projecteur d’atterrissage.

Le terrain ne comporte pas encore de piste bétonnée, l’aéroport utilise des troupeaux de moutons pour tondre l’herbe afin d’éviter aux avions un éventuel capotage. Le 27 avril, le champ d’aviation est rebaptisé "Aéroport de Genève-Cointrin". Le 31 mai, un meeting de voltige aérienne brave la pluie. Les "Fous volants" de la RAF font leur spectacle de voltige avec 3 avions Gipsy Moth identiques à ceux de l’Aéro-Club. Attachés entre eux, ils réalisent un looping de conserve. Citons les officiers J. Armour, J. McKenna, A. Moulsdale, Rowley & Murray. Un concours d’atterrissage, des baptêmes de l’air à bord de "l’Aigle de Genève" de W.Borner complètent cet après-midi de dimanche ou 2.000 spectateurs sont montés à Cointrin malgré la pluie matinale.

En 1932 on n’y croise que 3 lignes régulières : les Allemands avec Berlin- -Leipzig—Stuttgart- -Genève- -Barcelone, Air-Union avec Lyon-Genève (F) et Ad-Astra-Aero (CH) vers Zurich. Le lieu possède sa Cie commerciale locale, la "Borner-Genève-Air-Express, qui vivra jusqu’à la fin 1933 (Aérotrafic) avec l’un de ses 2 appareils "L’aigle de Genève" (voir : Récit). Proche de là, dans les milieux de la Société des Nations (future ONU), il est question depuis des années de créer un aérodrome à l’usage de cette organisation internationale et 2 solutions se présentées : utiliser Cointrin et ses lignes commerciales ou créer de toute pièce de nouvelles installations modernes. La solution la plus rationnelle vise l’agrandissement de Cointrin qui reste proche de la ville, à 3km. Ce sujet devient de plus en plus important à l’approche de la Conférence Internationale sur le désarmement prévue en 1933 dans l’actuel Palais Wilson.

Bruits de pioche sur l’aérodrome de Genève

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Breguet 280T "berline" (no.2) d’Air-Union, ligne "Rapid Azur" Genève-Lyon-Marseille, devant un hangar neuf de Cointrin en 1933.

La poignée d’employés de l’aérodrome voit arriver le 1er juillet 1932 Charles Bratschi (voir :Biogr.), Genevois et pilote militaire, en qualité que "commis principal" sous la direction de Marcel Weber (voir :Biogr.). La crise économique fournit les premiers travailleurs pour l’extension de l’aéroport mais les projets remaniés, les crédits d’agrandissements et les modifications des surfaces sont les principaux soucis des dirigeants de Cointrin. Genève prend conscience de devoir améliorer et développer ses liaisons aériennes avec les grandes villes européennes. Les premiers travaux effectués sont l’aménagement et la stabilisation du parking des avions devant l’aérogare. En 1934, Weber demande un congé sabbatique pour reprendre l’importation de-Havilland en Suisse et ne reviendra plus à Cointrin. Bratschi le remplace puis est nommé directeur le 1er novembre 1934, poste qu’il conservera jusqu’à sa retraite en 1972. En juillet, il échappe miraculeusement à la mort, lorsqu’un extincteur explose blessant mortellement le mécanicien Albert Monnet et blessant grièvement son aide Eugène Lienenmann. L’objet de 90kg file à plus de 100m de haut, passe par-dessus les hangars et s’écrase sur la route ! N’oublions pas ces mécanos sans qui personne ne volerai. En octobre, les avions suisses quittent l’immatriculation CH-nnn pour un marquage de type HB-xxx.

En 1935, Maurice Braillard, chef du Dpt des Travaux publics, fait niveler le terrain de Cointrin et combler l’étang qui servait de carpière aux locaux : on abandonne définitivement le projet d’un étang artificiel pour hydravions.

Mais un rapport de décembre cite que "les installations pour le trafic des voyageurs sont primitives et nettement insuffisantes. Le restaurant, vieux chalet suisse, est trop loin du lieu de stationnement des avions. Les passagers, la poste, la douane et le service des bagages doivent, pour atteindre les avions, parcourir près de 100m sous la pluie et le vent, parfois entre des avions dont les hélices tournent. A Zurich, cette distance est de 8m environ. Il faut un immeuble permettant de centraliser le service présentant un attrait esthétique et offrant aux passagers et aux compagnies d’aviation tout le confort et les agréments qui les feront venir avec plaisir à Genève."

Les grands travaux vont alors commencer, pour des années.

Première piste en dur de Suisse et rareté en Europe

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Trimoteur Fokker F-VIIB-3m de l’Allemand Willy Zietz à Cointrin au début 1930 (Ph. : CIG).

Au printemps 1936, le poste d’émission et ses antennes sont déplacés à 1,5km au sud-ouest de l’aérodrome le long de la route de Meyrin. Les 2 pylônes de 30m de haut supportant l’antenne ne gênent plus la navigation aérienne. Le poste récepteur est aussi déplacé et équipé d’appareils modernisés qui permettront l’utilisation parfaite du radiogoniomètre lors des atterrissages par mauvaise visibilité.

Le développement du trafic aérien demande aussi un autre et très important effort pour l’extension de Cointrin. On entend parler, pour un avenir proche, d’avions rapides de grand tonnage (Douglas DC-2/DC-3, etc.). Des compagnies vont les acquérir et émettent déjà des restrictions en regard de la piste genevoise au cas où elle ne serait pas allongée et élargie de façon ad-hoc. Les dirigeants de l’aéroport, l’aéroclub et l’OFA, travaillent donc à un projet d’agrandissement, aux normes officielles de standardisation des aéroports. Et les travaux débutent ... Le 15 septembre 1936, l’aérodrome de Genève possède et inaugure une piste de 405m de long, double, large de 21m et en dur. Il s’agit de la 1ère piste d’Europe en béton pour les avions. C’est le début d’une nouvelle ère, d’un énorme développement pour l’aérodrome qui va n’être ralenti que par la 2ème Guerre mondiale mais reprendra de plus belle dès 1946 (voir :Récit).

La création de Swissair : vers un monopole national, hélas !

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Publicité de 1931.

Tout commence le 30 mai 1930 par une lettre de l’Office fédéral de l’air (OFA) aux compagnies Ad-Astra-Aero (Zurich) et Balair (Bâle). Le courrier indique que seules les destinations desservies par des trimoteurs seront subventionnées, soit quelque 10% du coût de chaque kilomètre de vol. Se passer d’un tel budget est quasiment impossible pour une Cie, avec les recettes d’alors. Les 2 Conseils d’administration se mettent alors à étudier différentes possibilités de collaboration et constatent bientôt que seule une fusion est la bonne réponse à l’ultimatum de l’OFA. Mais l’opération est loin d’être aisée et génère ses résistances internes. Il faut trouver un dénominateur commun pour le calcul des actions (800.000F), le choix du nouveau président (A.Ehinger), le lieu du siège (Zurich) et une nouvelle raison sociale (Swissair), La fusion est décidée lors des Assemblées générales des 2 compagnies les 17 et 23 mars, avec effet rétroactif au 1er janvier 1931.

La flotte réunie se compose de 13 avions (5 types), pour un total de 86 sièges [nb : la taille d’une seule Caravelle !], Incluant 8 trimoteurs Fokker et 10 pilotes. La nouvelle compagnie dessert essentiellement le nord de l’Europe à l’exception de Genève. Compte tenu du faible gain de temps par rapport aux trains express de nuit, le trafic aérien n’est pratiqué que de jour. Swissair commande 2 avions rapides monomoteurs Lockheed Orion, malgré l’opposition de l’OFAC, mis en service en 1932 (voir : Récit). Les 1ères hôtesses de l’air se voient dès 1934, l’une d’elles décède en juillet, après 3 mois de service, dans un crash : Nelly Diener. A la fin 1935, toujours avec ses 10 pilotes, dont le Genevois Walter Borner (voir :Biogr.), Swissair ne vole que d’avril à octobre, les concurrents Allemands et Français volent,eux, en hiver. Mais en 1936 la Cie décide de ne plus desservir Genève (déjà !), laissant l’escale à ALPAR (née à Berne en 1929), unique Cie suisse à Cointrin avec Air France, Lufthansa et CLS (Tchéquie). Un monopole aérien est né, l’aéronautique zurichoise va imposer sa loi sur toute la Suisse pendant 70 ans. Les petites Cies n’auront que peu d’espoir de survie.

Quelques chiffres pour illustrer cette époque

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Nelly Diener en 1934 (Swissair).

Pour toute l’année 1928, les lignes aériennes apportent à Cointrin 1.637 passager, leurs 18.498kg de bagages, et en emmènent 1.485 (18.153kg), soit un total de 3.122 passagers. Le fret dans les 2 sens cube à 6,24 tonnes de poste aérienne et 70 tonnes de marchandises. On a donné en plus quelque 1.602 baptêmes de l’air !

Cinq ans plus tard en 1933, en 5 mois, les chiffres sont bien dépassés, sauf pour le fret :

Cointrin 1933 (A) Nbre de PASSAGERS (B) POSTE aérienne (kg) (C) FRET payant (kg) (D) Nbre de VOLS Bagages payants (kg) Bagages gratis (kg)
Avril 409 1.825 9.776 2.024
Mai 612 6.255 11.371 2.490
Juillet 1.156 7.663 8.742 16.740
Août 851 4.350 10.887 11.978
Septembre 1.133 5.400 10.151 15.961
Totaux des 5 mois 4.161 25,5 tonnes 51 tonnes

Et en 1935, les passagers croîssent toujours alors que le fret reste à la baisse en Suisse :

Cointrin 1935 (A) Nbre de PASSAGERS (B) POSTE (kg) (C) FRET payant (kg) (D) Nbre de VOLS Vols spéciaux Vols touristiques Vols d’écolage
Juillet 2.053 3.668 13.636 500 207 (167 pass.) 18 (31 pass.) 885 (92h)
Août 2.017 4.584 11.472 493 220 (170 pass.) 21 (31 pass.) 667 (88h)
Septembre 1.802 6.688 13.830 384 200 (149 pass.) 43 (93 pass.) 766 (83h)
Totaux des 3 mois 5.872 15 tonnes 39 tonnes 1.377 627 (486 pass.) 82 (155 pass.) 2.318 (263h)

Evolution du trafic commercial aérien pour toute la Suisse :

Suisse, années : (A) Nbre de PASSAGERS (B) POSTE aérienne (tonnes)— (C) FRET (tonnes)— (D) Nbre de VOLS
1928 16.150 120,3 252,6 7.752
1930 19.147 167,5 373,9 10.199
1932 29.189 209,8 394,0 10.618
1934 49.369 197,8 418,0 13.859
1936 49.795 223,8 267,0 12.168
 
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La construction de la 1ère piste en béton de Cointrin, longue de 400m, en 1936.
Par : Jean-Claude Cailliez
Le :  mercredi 13 décembre 2006
  • Pour plus d’information, voir : L’avion à Genève, de René Hug. Ed. du Tricorne, 1981, 198p, ills, à la "Librairie ".
  • 1ère piste en dur d’Europe à Cointrin dès 1936 (diaporama, sonore, 02’, 37Mo). Nécessite le logiciel QuickTime 7.1.3 minimum
    La Cie Ad-Astra-Aero : des hydravions jusqu’à Swissair (diaporama, sonore, 04’18’, 105Mo).
    Fokker trimoteur, passagers et amis (1929-31, vidéo n&b, sonore, 01’27’’, 52Mo).

     
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