Le site des pionniers de l’aéronautique à Genève 
Des Genevois chez eux ou ailleurs et des étrangers dans Genève 
[article n° 30]
La première ascension d’un ballon et de son équipage à Genève (1847)

 

Jusque là, un Genevois ne s’envolait qu’en rêve. Il ne pouvait s’élever au-dessus des choses qu’en grimpant à un clocher ou au mont Salève. Maintenant il constate qu’hors des murailles de Genève, l’ascension est aisée et que la pensée peut évoluer en fonction des instruments que l’on se donne ou que l’on s’interdit.


Une ascension de ballon comparable à celle de Genève, mais à Vienne (Aut.) également en 1847.

Le ballon, une science tout d’abord parisienne

C’est en novembre 1783 que le premier ballon à air chaud appelé Montgolfière enlève du sol deux personnes vers les cieux, les très courageux Marquis d’Arlande et Pilâtre de Roziers, pas à Genève, mais en France, au Bois de Boulogne. En 20 minutes de vol les 2 premiers aéronautes de l’histoire de l’Homo sapiens atteignent une altitude de 1000 m tout en se déplaçant sur 12 km. C’est absolument remarquable, héroïque et l’enthousiasme fut délirant !

Genève, ville indépendant, non encore Suisse, n’aime pas rester la 2ème capitale intellectuelle francophone de l’Europe. On trouve donc une trace dans les registres du Conseil, en date du 8 octobre 1784, concernant une autorisation donnée au sieur Gosse pour lancer une souscription dans le but de faire partir un ballon. Sans nouvelles par la suite, on ne sait si la souscription fut infructueuse ou si le projet se dégonfla. Il peut s’agir ici d’une demande de Henri-Albert Gosse (1753-1816) qui fit ses études d’anatomie et de chimie à Paris et rentra à Genève en 1788. Propriétaire d’une pharmacie tout en étant membre de plusieurs sociétés savantes, il fonda la Société de physique et fut momentanément haut fonctionnaire....

Malgré tout, un fabriquant de porcelaine Genevois, du nom de Thor ( ?) fait décoller un ballon de papier non habité, qui vole de Nyon à Crassier durant 12 minutes en atteignant 200 pieds d’altitude, le 18 janvier 1784, selon la Hurtersche Schafhauser Zeitung No.8 de 1784. A citer également les essais pratiqués par le célèbre genevois Horace Bénédicte de Saussure, réalisés également en janvier-mars 1784 (voir : Récit), lui qui n’a pas encore gravi le Mont Blanc.

Les mêmes registres du Conseil constatent également qu’en 1785 des tentatives d’ascensions de ballons, non habitées, ont bien eu lieu : "Ayant été observé que la licence que se donnent quelques personnes de lancer des ballons qui s’élèvent à l’aide du feu peut occasionner des incendies et qu’un ballon de cette espèce tombé dans le jardin des Délices avait mis le feu à deux arbres fruitiers, arrête de faire défense expresses par une publication de lancer des ballons de feu." On ne badine pas avec le feu ! Dommage, les ballons à gaz, sans foyer, sont déjà nés mais ne semblent pas encore apparaître à Genève. Cette décision entérine l’arrêt des essais potentiels pour tout scientifique genevois mais aussi pour qui aime jouer avec le feu. Ceci inaugure le début d’une période de 56 années qui ne verront personne tenter de s’envoler ici alors que la France voisine n’arrête pas de montrer le contraire, avec beaucoup de succès et sait probablement mieux lutter contre les incendies ?

Après une courte période napoléonienne, en 1815, Genève est devenue suisse. En octobre 1841 une autorisation d’essai est accordée au lyonnais Boissier qui construit hors les murs, à Plongeon (Eaux-Vives), au futur parc de la Grange, une montgolfière à air chaud ovoïde, longue de 29m, large de 17 et haute de 8 "qui peut être dirigée à volonté" ( ?). Equipée d’une nacelle et de parachutes, elle ambitionne d’emporter pas moins de 3 à 4 passagers pour manœuvrer l’aérostat (rames ?). L’essai public et payant du dimanche 10 octobre 1841 à 15h, se solde par un échec. En présence d’une foule importante, après 3h de gonflage, l’objet ne décolle pas. L’enveloppe de papier renforcée se déchire et quelques voyous déçus finissent de détruire l’enveloppe qui s’évaporera dans les flammes du foyer. Les organisateurs et l’inventeur en sont pour leurs frais !

Pour la petite histoire, la 1ère ascension humaine en ballon de Suisse fut celle du Français Jean-Pierre Blanchard qui s’éleva de l’Hôtel du Margrave de Bâle, drapeau bâlois en main, et se posa une demi-heure après à Allschwill (5 mai 1788). Pour mémoire, le 1er helvète passager d’un vol libre en ballon est le Bernois Johann Samuel Pauli (1766-1816), qui s’éleva à Sceaux (F) le 4 août 1804 en compagnie de Bollé. On ignore le nom du 1er Suisse passager qui s’éleva dans les cieux suisses … mais il s’agit peut-être d’un Genevois…

Un premier ballon à gaz s’envole de Genève piloté par... une femme ... française !

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Une ascension de ballon à Leipzig en 1850.

Plus rien donc ne se déroule à Genève, jusqu’à cette 1ère ascension, annoncée pour le 12 septembre 1847, d’un dénommé Rossi, qui décollera du bas du quartier de la Coulouvrenière en compagnie d’une dame Poitevin. Pourquoi ce lieu ? C’est un espace dégagé avec les réservoirs de gaz de ville proches de là. Hors des murailles au sud de la ville, en pleine campagne, la Société de l’Arquebuse possède un grand terrain où se pratique le tir à l’aide d’armes, lieu appelé le Tirage (1826-1896). Un bâtiment à colonnes au nord-est du terrain en limite l’entrée au bord d’une place dite place du Tirage. Au nord-ouest du champ coure la rue de la Coulouvrenière. Aujourd’hui la place est située à l’intersection de la rue du Stand et de la rue des Rois. Quant au pont de la Coulouvrenière, il n’apparaitra qu’en 1896, pour l’Exposition nationale suisse, en même temps que disparaitra ce champ de tir.

Concernant l’ascension du 12, la presse, qui rate le fait qu’il s’agit d’une première locale, mentionne que Mme Poitevin s’est élevée pendant 2h et qu’elle est finalement revenue au sol près du village de Meyrin. Hélas la recette du jour n’a pas couvert les frais de l’opération. La population est donc avisée d’un nouvel envol pour le dimanche 26, à 15h. A ce sujet, J.C. Mayor, dans l’Almanach Genevois de 1971 cite : "Alexandre J. Martin note dans son journal précieusement conservé aux Archives d’Etat : "

- "A trois heures nous nous sommes transporté à la Coulouvrenière pour voir un spectacle d’un genre nouveau pour notre pays, celui d’une ascension en ballon... Le lieu de l’ascension est la Place du Tirage, à la Coulouvrenière. Des bancs circulaires ont été rangés pour qu’on puisse jouir commodément des opérations préparatoires. Les places les plus rapprochées, celles à 4 francs, renferment deux membres du gouvernement, MM. Pons et Janin, un membre du grand Conseil, M. Abraham Baudit-Lhoste et son élégante épouse, enfin la grande Duchesse Constantin avec sa suite et quelques autres personnes. [aucun descriptif du ballon "L’aigle audacieux", de sa nacelle ou des aéronautes..]

- A 4h15 le ballon part, emportant avec lui Mme Poitevin et M. Rossi qui couvrent l’assemblée de bouquets ; un petit vent du nord les chasse rapidement dans la direction de la Savoie. Nous partons également après leur avoir souhaité un heureux retour. Le 27 septembre : Mme Poitevin est allée descendre hier soir près de Rumilly après une heureuse traversée." Après 3h de vol, les deux aéronautes ont donc posé à Versonnex, proche de Rumilly, et ils seront de retour à Genève le lundi matin.

L’aérostier qui pilote ce ballon à hydrogène n’est pas un genevois mais encore un Français du nom de Charles Rossi. Il débute une tournée en Suisse avec son ballon, puisque ici "ces choses sont nouvelles…". Son compagnon de fortune est Jean Eugène Poitevin, l’un des plus célèbres aéronautes parisiens, qui n’hésita pas à s’élever dans les airs assis sur un cheval, soulevés par un ballon, le 14 juillet 1840 au Champ de Mars. Ils seront vus entre autres à Bâle (04.06.1848), à Klingenthal (12.06.1848), Zurich (23.07.1848), etc. On les verra encore en Italie. Ne minimisons pas le rôle de notre aérostière, née Rosalie Goujon (1819-1908), épouse Poitevin dès 1848, rare femme de l’air, qui réalisera 38 sauts en parachute en se jetant depuis la nacelle d’un ballon. D’abord mariée au sculpteur Duté, mère du jeune Adrien (le futur aéronaute A.Duté-Poitevin, 1843-1900), elle débute l’aérostation avec passion en cette année 1847 et va adorer en faire un spectacle. Elle s’envolera à son tour assise sur un cheval, un âne et même un taureau ! Sa fille Marie Poitevin sera également aérostière …

En décembre 1858, Rosalie Poitevin est hélas devenue veuve, le ballon de son mari s’étant écrasé en mer à Malaga. Elle fait paraître dans des journaux l’annonce suivante : "A vendre, chez Mme Poitevin, ancienne aéronaute, constructeur d’aérostats en tous genres, rue des Princes, 55, à Meudon, un parachute de 12 mètres de diamètre, en soie rouge dite "gros de Naples". Mais elle revolera et vivra jusqu’à l’âge de 90 ans, après avoir réalisé 571 ascensions en ballon !

Mr et Mme Poitevin font plusieurs ascensions depuis Genève (1852-1867) !

Il semble que les 2 premières et sages démonstrations de l’envol d’un ballon à Genève en 1847 soient suivies de plusieurs envolées aérostatiques à Genève par Mr et Mme Poitevin. A bord du "Zodiaque", le 18 avril 1852, Eugène y chevauche un poney puis son épouse fait une ascension avec un passager le 25 avril. L’une de ces envolées est mentionnée par Henri Fredéric Amiel dans son "Journal intime" (tome 8) qu’il observe depuis la terrasse Beraud à Lancy où il vient voir de la famille. Un vol est encore annoncé pour le 18 avril 1853 mais n’a peut-être pas eu lieu. Mme veuve Poitevin est à nouveau en ville le dimanche 22 septembre 1867 (voir : Récit). Il nous en reste une très rare double affiche conservée à la Bibliothèque de Genève. La 1ère affiche, illustrée ici, annonce l’événement sans détails. La seconde, d’un grand format, fournit des données intéressantes qui doivent être assez semblables à celle pratiquées en 1847. On y lit entre autres les qualités de l’aérostière "Aéronaute des fêtes du gouvernement [français] dont les excursions hardies, nombreuses et admirables ont été honorées successivement de la présence et des félicitations de tous les souverains d’Europe, et plus particulièrement, vingt fois, de Leurs Majestés l’Empereur et l’Impératrice des Français, et dernièrement de la Cour d’Espagne."

Le ballon "Le Mercure" est installé et gonflé au gaz de ville dans le stand de tir, à nouveau au bas de la Coulouvrenière. Le coût des places est très élevé : "Enceinte de manœuvre" 5F, Premières 2F, Secondes 50ct, les enfants ne payant que moitié prix. L’horaire de la manifestation est le suivant : "A 15h les bureaux et les portes du Stand de tir seront ouverts au public, et le gaz commencera à être introduit dans l’aérostat qui, sous les yeux des spectateurs prendra les formes les plus gigantesques, les plus régulières et les plus gracieuses, au fur et à mesure du gonflement". A 16h30, "le magnifique Aérostat, construit en soie imperméable, appareillera, fera tous ses préparatifs et ses manœuvres intéressantes et instructives de son départ. Une flottille de petits ballons sera lancée dans l’espace". A 17h précises "l’Aérostat muni de tous ses agrès, rompra ses amarres terrestres et s’élèvera majestueusement dans l’immensité des cieux, remorquant Mme Poitevin ce qui produira un spectacle merveilleux et une émotion impossible à décrire. Le départ s’opérera au milieu d’une pluie de fleurs. Un brillant orchestre exécutera des morceaux choisis de son répertoire…"

Une faible brise n’emporte le ballon et son passager Mr Charles Lafontaine que jusqu’à la plaine proche de Lancy (GE). Deux ultimes envolées se dérouleront encore les 22 septembre et 4 octobre 1867, où Mme Poitevin chevauche un âne sous son ballon (voir : Récit). Mais ces ascensions entament une longue période d’une trentaine d’années marquée de peu d’activité aérienne dans le canton (E.Godard 1870 & 1873, E.Spelterini 1892), jusqu’à la présence du ballon captif de l’Exposition nationale suisse de Genève en 1896 (voir : Récit).

 

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L’affiche annonçant la 2ème démonstration de Mme Poitevin à Genève, en 1867 (Source : Bibliothèque de Genève).
Par : Jean-Claude Cailliez
Le :  lundi 27 juin 2005
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