Le site des pionniers de l’aéronautique à Genève 
Des Genevois chez eux ou ailleurs et des étrangers dans Genève 
[article n° 305]
Londres—Londres via Genève et Naples, le dur itinéraire d’un aviateur canadien redevenu piéton (1943) [vidéo]
  Des milliers d’aviateurs alliés sont contraints de quitter leurs appareils touchés durant la 2ème Guerre mondiale sans pouvoir rejoindre leur base. Environ 350 d’entre eux transitent à pied par la Suisse, dont à Genève, avec l’ambition de rejoindre les troupes alliées d’une manière ou d’une autre. Certains restent internés contre leur gré en Suisse, d’autres touchent à leur but. Le Canadien Edward G.Chard, abattu après un survol de Genève le 11 nov 1943, repassera 2 fois par cette ville avant de rejoindre l’Angleterre en septembre 1944 … via Naples.
Ravitaillement en bombes (4t) et munitions d’un Handley-Page Halifax Mk-II d’un Squadron de bombardement anglais, équipé pour des missions de 6 à 7 heures.

Au retour d’un raid, abattu à une heure de sa base

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A la frontière franco-suisse de Sauverny, l’Allemagne veille dès fin juin 1940.

L’histoire au titre "Les vignobles de Perly" est racontée par Roger Anthoine (1925-2015) : Dans la nuit du 11/12 novembre 1943, 134 quadrimoteurs britanniques attaquent une voie ferrée du littoral méditerranéen. Il s’agit de couper l’accès des renforts allemands vers le front d’Italie et plus précisément de détruire le beau viaduc d’Anthénor et la gare de triage de Cannes-La-Bocca. Le raid est un échec complet ! A Anthéor, 10 Lancaster du Squadron 617, célèbre pour son raid d’avril sur les barrages de la Ruhr, se délestent d’autant d’énormes projectiles de 5.450kg … tuant 78 personnes au village côtier des Saint-Exupéry : Agay. A La-Bocca, la nuit claire n’empêche pas 124 bombardiers Halifax de faire 39 victimes dans les quartiers ouvriers.

Au retour, un viol de l’espace suisse est à peine consommé lorsque ces Halifax survolent Hermance, le Petit-lac, la Dôle. De Genève on entend l’alerte sonner à Annemasse. Deux heures plus tard, entre Lisieux et la côte normande, un des coupables est pris à partie par un chasseur allemand. Il succombe là, comète flamboyante qui percute à Surville, un hameau de Pont-l’Evêque. C’est déjà une ancienne machine que ce HR.791, sorti de chez Handley-Page en début d’année. Il est aujourd’hui codé NP-H au Squadron 158 et son pilote est le F/Sgt A.Evans qui en est à sa 13ème mission. Chance ou clairvoyance, presque tout l’équipage sort vivant du drame intense qui broie les cieux normands. Trois hommes vont échapper aux camps de prisonniers. L’un d’eux se retrouvera en Suisse : le F/Sgt Edward Chard. Il est canadien de Toronto, comptable et a déjà atteint un âge canonique pour la RAF : 35 ans.

Du choc de Normandie à la curieuse hospitalité genevoise

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Douaniers franco-allemands à la frontière d’Annemasse en 1943.

E.Chard touche terre un peu au nord de sa monture à Tourville, en bordure des bois de St-Gatien. C’est en pleine zone stratégique côtière, farcie de troupes ennemies et interdite aux non-résidents. Faisant preuve d’un aplomb remarquable, l’aviateur traverse le village, croisant nombre d’allemands qui n’accordent aucune attention à ses pantalons gris-RAF ni à sa jaquette de vol fourrée. Bientôt heureusement, le patron d’un estaminet lui donne des habits civils et le fait conduire chez un fermier sympathisant à Morainville, à mi-chemin vers Lisieux. De là son itinéraire le ramène à rebours sur sa dernière ligne de vol, traversant Paris, Lyon, Annecy, Annemasse. La chance lui reste fidèle : personne ne l’arrête jamais.

Dans la nuit du 22/23 novembre il est déjà près de Genève, à Cara. Ils sont 3 à forcer la frontière dont un "agent du service de renseignements bien connu des suisses". Mais ceci le sergent Pillet ne le sait pas encore lorsqu’il intercepte le trio au passage Bévillard. On fait appel à un membre du Renseignement suisse, Mr Chappuis, pour escorter Chard jusqu’à l’école des Cropettes devenue centre d’accueil. Ici on l’interroge sur les objectifs et avions de la RAF et en conclusion on lui demande de signer une déclaration rédigée en français. Chard s’y refuse, ce qui lui vaut 3 jours de cachot. C’est vrai. Le PLt Poulin et le caporal Ferrin affrontent l’aviateur ; ils notent qu’il ne signera rien avant une entrevue avec les autorités de Grande-Bretagne à Genève, le vice-consul Victor Farrell en l’occurrence. On en réfère au Lt Daniel Odier qui est l’officier de police responsable. Il fait incarcérer Chard au secret à la prison St.-Antoine.

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Hôtel Bellevue de Glion, l’un des établissements pour aviateurs alliés.

C’est là mesure transitoire. Dès le lendemain le Lt Bolli chef de la gendarmerie d’armée de la place genevoise, reçoit l’ordre de transférer le récalcitrant à Berne. Pas tout de suite, dans 2 jours. Ainsi, dans l’après-midi du 26 novembre, le gendarme Willen escorte le "déserteur" canadien jusqu’au Palais fédéral, y découvre le bureau 84, remet le "déserteur" au Lt Thellin. Plus tard un nouvel interrogatoire "par un colonel suisse" ne donne lieu à aucune conséquence que d’être remis à la légation britannique, Chard connait ensuite les charmes d’une cohabitation en relative liberté avec quelques douzaines d’autres sous-officiers de la RAF.

Puis en mai 1944 tout le monde fait mouvement vers "Bellevue", cet hôtel de luxe des hauts de Montreux a présent bien connu. Glion devient en cette période une vaste ruche anglo-saxonne : aviateurs américains, gens de la RAF, quelques centaines aussi de rampants britanniques à Caux, créent une atmosphère rarement aussi placide que l’environnement helvétique.

 

De Montreux à Genève, Grenoble, la Méditerranée puis Naples par divers moyens.

Initialement tout ce monde apprécie certes la nonchalance d’une vie détachée du tumulte de la guerre. Mais à la longue certains ressentent cette sensation que l’époque appelle encore "sens du devoir". L’ennui aidant, les plus entreprenants lorgnent vers la France où les Américains et Français débarqués en Provence remontent déjà vers les marches suisses. D’ailleurs en cette fin d’été 1944 il devient notoire que repasser en France libérée ou presque, ne présent guère de difficultés insurmontables. E.Chard s’acoquine ainsi à 2 "professionnels" de l’évasion, le W/O McLeod et le F/Sgt Neuman et un beau jour le trio descend à Montreux pour prendre le train pour Genève. Là, vers Perly, le propriétaire d’un vignoble frontalier les faufile sous les barbelés de la frontière. On est le 25 août 1944. A St-Julien-en-Genevois, des FFI soupçonneux s’assurent de la qualité des fuyards. C’est que les Allemands en débandade battent la campagne et la Hte-Savoie auto-libérée n’a aucune intention de les laisser fuir. Mais à peine les aviateurs sont-ils dûment reconnus que survient une patrouille de reconnaissance américaine. Ce sont des éléments de la 36e Division d’infanterie "Texas", des gens qui ont débarqué à … Agay qu’a bombardé Chard l’an dernier !

 
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Carte de pénétration en région genevoise de quelques aviateur. Source R.Anthoine.

La patrouille fait route à l’est mais ses jeeps refluent bientôt après contact avec les maquisards qui ont déjà libéré le Chablais. Dans la nuit pluvieuse les Américains ramènent à Grenoble leurs alliés aviateurs déchus. Dans le chef-lieu de l’Isère, ré-interrogatoire : une routine en ces temps où tant d’épaves de guerre flottent de par l’Europe. Un major du QG de la 7e Armée US procède à l’entrevue. Satisfait, il remet à Chard et compagnie le formulaire attestant de leur qualité. C’est après ce contact que le trio rencontre 2 autres pilotes. Tout ce "gang" monte dans un camion, un 6x6 qui fonce à tombeau ouvert vers la Provence. Plus tard les aviateurs prétendront avoir plus craint pour leur vie dans cette course folle vers St-Tropez qu’au cours de leurs missions de guerre.

Fin août 1944, St-Tropez la nuit n’est pas du tout ce que l’on croit. Ce sont les km2 d’un dépôt noyé de lumières où s’accumulent les montagnes de rations, de munitions, de jerrycans. L’US Army y nourrit les aviateurs en transit, les y loge sur et sous toile et le lendemain leur offre le passage maritime vers Naples. Mais la traversée en bateau risque de prendre 11 jours ! Des aviateurs méritent mieux, fussent-ils devenus piétons. Ce ne sera pas simple mais Hickman réussira à mener ses camarades à l’aérodrome de Salon-de-Provence. L’endroit est désert, ravagé par les bombes alliées qui y ont pourchassé l’aviation allemande. Un unique avion C-47 de transport s’y présente cependant, qui dégorge une jeep rutilante et un major pète-sec des Services de Justice US. Les pilotes quant à eux sont heureusement gens démocratiques : toute l’équipe de vagabonds réussit à se faire accepter dans l’avion qui retourne à Rome. Un jour encore et Naples-Pomigliano accueille les ex-piétons au pied d’un Vésuve apaisé de ses colères de février. Ici se défont de solides amitiés datant de Glion. Les Américains s’en vont de leur côté, les RAF "blokes" du leur, y compris Chard qui atteindra finalement l’Angleterre en septembre.

Texte de Roger Anthoine

Par : 
Le :  mardi 29 mai 2007
  • Pour plus d’information, lire : Aviateurs piétons vers la Suisse (1940-1945), de Roger Anthoine, Ed. Secavia, 400p., ills, à la "Librairie ".
  • Planeurs lancés à l’élastique aux Pléiades en 1941 (Film, N&B, sonore, 2,5’, 59Mo), nécessite le plugin QuickTime 7.1.3. minimum.

     
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