Le site des pionniers de l’aéronautique à Genève 
Des Genevois chez eux ou ailleurs et des étrangers dans Genève 
[article n° 320]
Un avion bimoteur traverse les restaurants de l’aérogare de Cointrin, en morceaux (1993) [vidéo]

 

Le groupe de restaurants de l’aérogare de Genève-Cointrin est crée et ouvert en même temps que ce bâtiment, en mai 1968. Quelque 25 ans plus tard, il est nécessaire de l’améliorer de le rendre plus compatible avec l’augmentation des passagers mais également de l’adapter pour attirer des visiteurs extérieurs. L’architecte tente un pari, installer la structure d’un grand bimoteur militaire français pour décorer l’axe d’accès aux divers restaurants et décorer aussi une partie de ceux-ci.


Deux Breguet Br.1150 "Atlantic", de l’Aéronavale française, en patrouille au-dessus de la mer, dans leur rôle de surveillance maritime et de détection de sous-marins.

Un appareil de l’Aéronavale française pour décorer un restaurant d’Helvétie.

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Les lourdes pièces du puzzle vont être déchargées puis hissées sur le toit de l’aérogare.

Texte de René Hug : Cette rénovation est un défit pour lequel Manuel Martin, l’architecte d’intérieur genevois, ne lésine pas sur les effets spéciaux en imaginant de placer à l’intérieur des restaurants un authentique avion. Il s’agit de revêtir une originalité marquée et recherchée dans le but d’accroître les fréquentations des restaurants. Il lui faut aussi rénover et aménager ces installations sans en interrompre l’exploitation. Parallèlement, il s’impose de gérer l’ouverture au 1er étage du centre d’affaire Skycom une fois les travaux du restaurant terminés et de maintenir le coût de la réalisation dans une enveloppe acceptable et optimisée. Manuel Martin confie : "Il faut surprendre et convaincre. Quoi de plus spectaculaire qu’un avion dans un restaurant aéronautique ?" Et de continuer : "A partir du moment où nous avons cette idée, tout est alors simple ! … Je tiens aussi à veiller à la transition entre l’avion réel et le lieu public que sont les restaurants, mais il faut bien avouer que nous évoluons tout au long du projet en nous adaptant aux nombreuses contraintes du site."

La 1ère étape : "Il faut tout d’abord identifier l’avion, le découvrir et, enfin, le mettre en place. Un programme digne d’un projet fou … Nous découvrons cet appareil, un Breguet Atlantic", à la base de Nîmes-Garons où il est encore utilisé pour des missions de surveillance et de chasse aux sous-marins." La 2ème étape, c’est le transport de Nîmes à Genève : "En fait il nous faut 2 appareils, les Br.1150 no.27 et no.47, qui sont dépecés et amenés à Cointrin. Il ne faut pas moins de 5 convois routiers exceptionnels. Des grues spéciales sont nécessaires pour hisser les carlingues et les introduire par le toit à l’intérieur des bâtiments. Un appareil de 56m est ainsi reconstitué et c’est aujourd’hui toute une tranche de la vie de l’Aéronavale française qui revit, non plus dans le ciel méditerranéen, mais bien dans les restaurants Canonica SA."

Le traqueur de sous-marins des années 60 est utilisé en Europe et au Pakistan

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Le cockpit, intégralement conservé, accessible au public.

Il s’agit là d’un appareil peu courant, puisque quelque 87 Breguet Br.1150 "Atlantic" ont été construits, notamment pour la surveillance en mer et la détection de sous-marins. L’avion est le vainqueur, parmi 25 projets, du concours de l’OTAN de 1958, en remplacement du Lockheed "Neptune". Construit par un consortium européen (Be, F, NL, D), l’appareil no.1 effectue son 1er vol le 21 octobre 1961. Son fuselage bilobé et pressurisé abrite 12 hommes et 3t d’appareillage électronique de détection. Mu par 2 turbopropulseurs Rolls-Royce Tyne de 6.000cv, l’appareil atteint les 615 km/h, mais en patrouille, à 320km/h, il peut tenir l’air pendant 8h.

L’appareil no.27 réalise son 1er vol le 21.10.1966. Il est livré le 25.02.1967 pour être affecté le mois suivant à la flottille 22F. Il passera successivement le 5 mai à la 23F, le 15.03.1973 il retourne à la 22F, le 06.09.1976 il est affecté à la 24F, le 10.04.1980, à nouveau à la 23F et le 22.06.1986 à la 21F. Quant à l’appareil no.47, il effectue son 1er vol le 06.09.1967 pour être affecté à la flottille 22F le 25.01.1968, puis à la 21F le 20.12.1974 ; il est revenu à la 22F le 14.10.1976 puis a passé le 12.05.1980 à la 23F et, avant de terminer sa carrière dans les restaurants, il a encore été affecté à la flottille 24F le 21.02.1984. Les flottilles 21F et 22F sont basées à Nîmes-Garons, en Méditerranées alors que les flottilles 23F et 24F sont à Lann-Bihoué, sur l’Atlantique.

Des parties d’avion, tout en simulant son volume global, distribuées dans les restaurants

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Une vue partielle du restaurant "Plein Ciel" et le train droit du Breguet.

Les clients entrent maintenant dans le restaurant de l’aérogare par l’arrière de l’avion, puis la carlingue est divisée en 4 zones : dans la queue, sous l’empennage, le snack "Zoulou", nom de code aéronautique, s’adresse à la clientèle jeune, avec une petite restauration de sandwiches et salades composées ; dans l’aile de l’engin, le restaurant "Plein Ciel" a été transformé en un véritable jardin d’Eden des plaisirs de la table, dans lequel l’authentique train d’atterrissage tient lieu de pilier central. Le Cockpit fait partie de la brasserie "L’Avion" avec, entre deux, une salle polyvalente pouvant accueillir une soixantaine de personnes. Le poste de pilotage est conservé intact pour permettre aux enfants d’obtenir un "brevet de pilote" et une photo."

L’aérogare a changé d’aspect, toute la partie abritant les restaurants se présente d’une manière totalement différente, correspondant mieux aux exigences de la clientèle actuelle. Pour M.Martin, le défi est relevé et il est convaincu que : "l’on peut faire quelque chose à Genève sortant de l’ordinaire ! Etant genevois, je suis heureux d’avoir pu signer cette réalisation ici. J’ai des mandats dans le monde entier, mais je suis fier d’avoir réussi ce que certains appelleraient "une fantaisie" au sein de notre aéroport." … "Du travail, il y en eut même beaucoup !" Cependant, malgré toutes les contraintes techniques et une bonne part d’improvisation pour pallier les imprévus, les délais ont été respectés." Le 19 octobre 1993, les nouveaux restaurants sont inaugurés en présence d’une importante délégation de l’Aéronavale française venue de Nîmes, de l’astronaute Buzz Aldrin et son épouse, ainsi que de très nombreuses personnalités romandes.

Manuel Martin a osé changer les habitudes et offrir un nouveau concept de restauration pour un public de 7 à 77 ans ! C’est alors réellement un redécollage en beauté pour les Restaurants Canonica SA, selon leurs mots, qui ont rapidement atteint de nouvelles altitudes de croisière.

Pas de 3ème vie pour le Bréguet 1150 ? Sauf chez les collectionneurs ?

Lors de l’extension ouest de l’aérogare (Terminal T1) en 2007-2008, la zone de restaurants sera surélevée d’un étage, retrouvant une vue imprenable sur l’activité aéronautique du tarmac de Cointrin. Durant les travaux, le Breguet "Atlantic" doit être découpé et ôté des lieux qui serviront ensuite à d’autres usages. Mais bien qu’appartenant à Canonica SA, l’appareil ne trouvera pas sa place dans la nouvelle structure des restaurants, il a fait son temps.

Si l’on ne veut pas voire disparaître un avion qui a déjà vécu deux fois, d’abord 27 ans au-dessus de la mer, puis enchanté des milliers d’enfants dans les dernières 14 années, il ne reste plus que les collectionneurs ou les musées pour récupérer ce qui pourra être sauvé et offrir une 3ème vie au Bréguet "Atlantic". A suivre.

 
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Par : Jean-Claude Cailliez
Le :  samedi 22 septembre 2007
  • Pour plus d’information, voir : Une nouvelle vie pour un Breguet "Atlantic", par René Hug, 64p, ills. Accessible auprès de Canonica Restaurants SA à Cointrin.
  • Le Breguet 1150 Atlantic (diaporama couleur musical, 01’54, 42Mo). Nécessite le Plug-in Quick-Time 7.1.3. minimum.

     
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