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[article n° 333]
Jean HOTELLIER (1912-1996) : as de la chasse française dans les combats de mai 1940 [vidéo]

 

Natif de Vesancy dans le Pays de Gex, l’adjudant Jean Hotellier n’aura que deux semaines pour défendre la France à bord de son chasseur Curtiss H-75 en mai 1940. En quinze jours de combats, il abat 6 appareils allemands dont deux chasseurs en combat singulier. Puis il est à son tour abattu en flamme et blessé au visage. Sa carrière aérienne militaire continuera malgré tout jusqu’en 1964 avant qu’il ne retrouve l’activité de son jardin au pied du Jura, jusqu’à la fin de 1996.


"L’as" Jean Hotellier (1912-1996), de Vesancy dans le Pays de Gex, breveté pilote en 1932, s’engage dans l’Armée de l’air en 1933 et participe aux combats aériens de mai 1940. Il pilotera des appareils variés durant 30 ans.

De l’établi de menuiser au manche à balai d’un chasseur

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(ph. : famille Hotellier).

Jean Hotellier nait le 14 février 1912 à Vesancy, dans le Pays de Gex (Ain) au pied du Jura, 6ème de 7 enfants, dans une famille implantée ici dès 1714 et qui connut de nombreux acteurs de la commune ou serviteurs de l’Etat. Boursier, Jean passe son brevet de pilote le 8 septembre 1932 à l’école Caudron d’Ambérieu (Ain) et s’engage fin janvier 1933 dans l’Armée de l’Air. Après un stage de perfectionnement à l’école de voltige d’Etampes, il rejoint en septembre 1933 la 1ère escadrille (Spa 95) du GC1/6, devenu par la suite le GC1/42 et finalement le GC1/4 en octobre 1936. Le 3 septembre 1939, le sergent-chef Hotellier est chef de patrouille dans cette escadrille basée à Wez-Thuisy, équipée de Curtiss H-75A-2, lorsque débute la fameuse "Drôle de guerre". Il se marie à Denise Treber et passera bientôt adjudant.

L’historien Marius Roche l’a rencontré au printemps 1995 : "A pas lents, le Gessien Hotellier vient nous accueillir chaleureusement sur le seuil de sa maison. On a peine à imaginer que cet octogénaire, au visage et aux mains encore terriblement marqués par cette journée du 26 mai 1940, dont la mémoire fidèle nous ressuscitera les grands moments, fut le jeune pilote intrépide au grand courage, dont le nom s’illustra au palmarès des "as de guerre". Et pourtant, il est un survivant. Cette période ne fut nullement drôle pour lui. Il vécut à partir du 10 mai 1940, une quinzaine à la fois héroïque et terrifiante, chargée d’épreuves qui lui laissera des blessures physiques et morales dont il ne s’est pas totalement remis 55 ans plus tard."

- "Son adolescence, sa carrière au combat, il en parle avec une pudeur extrême, sans une seule fois élever la voix pour souligner telle action particulière dont pourtant il pourrait être fier. Le jeune Gessien, un enfant d’une famille très nombreuse, se destinait à être paysan ou tourneur sur bois, dont il commença l’apprentissage. Mais c’est l’appel de l’air qu’il ressent, comme tant d’autres de sa génération. Il a 20 ans, et rien désormais ne peut entraver le destin qu’il s’est choisi. Après une affectation au 2ème régiment de chasse à Strasbourg, il est à Reims, au sein du groupe des Curtiss, le meilleur avion du moment dit-il."

- "Arrive la guerre de 1939-40. L’homme est prêt à faire son devoir, tout en déplorant qu’une fois encore la guerre soit le moyen choisi par les hommes pour régler des différents entre nations. Le "réveil" sonne le 10 mai 40, après quelques mois de léthargie, quand Hitler envahit la Belgique, et bientôt la France. Hotellier qu’accompagnent ses camarades les sergents Joire et Bompain, décolle en alerte plusieurs fois ce jour là. Le pilote gessien va inscrire sa 1ère victoire en abattant un avion allemand."

Quinze jours de folie, la mort au bout des mitrailleuses de chacun

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Hotellier à bord du Curtiss H-75A no.115 du Sgt Joire (12.1939, ph. Joire).

- Marius Roche : "Et ce sera le début de la quinzaine tragique : le ciel est en feu presque nuit et jour. "Je décollais jusqu’à trois fois par jour", se souvient-il, fonçant sur les avions ennemis. On doit comprendre, dans ce combat de titans, que dominait l’idée simple de sauvegarde du "si ce n’est pas moi qui l’abas, c’est lui qui m’abattra"… Une idée qu’Hotellier remet parfois en cause aujourd’hui, tant l’idée de cette lutte mortelle entre les hommes le tourmente. Alors suivra une série de "victoires" qui feront du pilote un "as de guerre". Le 13 mai, puis le 17, puis le 22, Hotellier abattra des avions allemands, dont 2 Messerschmitt 109 près d’Anvers. Au total, aux alentours de la frontière belge, ce sont 6 victoires homologuées à l’actif du pilote."

- Mais quelques jours après, survient pour lui l’épreuve la plus terrible. Le Lt Weis et le Sgt Joire ont aperçu un Dornier 17. Hotellier l’attaque "plein arrière". Le mitrailleur ennemi ouvre le feu, et Hotellier riposte, tirant ses cartouches en plusieurs rafales. Le Do.17 semble désemparé, son moteur droit dégage de la fumée intense. Mais l’huile en feu qui s’échappe, arrose l’avion de l’adjudant Hotellier… Le Do.17 s’écrase près du canal de la Somme à la Scarpe. Hotellier ne s’attarde sur aucun détail. Ce dont il se souvient en revanche, c’est de l’instant de l’ultime attaque, de ses brûlures terribles et de son sauvetage en parachute pendant que son avion s’écrasait : "J’ai tourné dans l’air sans savoir ce qui m’attendait, après avoir été éjecté en parachute… Je m’attendais à être écrabouillé ! … et soudain mon parachute s’est ouvert. Les Allemands m’ont fait conduire à l’hôpital…"

- "Capturé à son arrivée au sol, d’abord évacué à Cambrai, on le transportera plus tard à l’hôpital Edouard-Herriot à Lyon. Les médecins allemands le jugeront inapte au service et permettront son retour de captivité en 1941. Aujourd’hui, toujours mutilé, Hotellier nous montre ses pauvres mains, "rétrécies", dit-il et les stigmates de sa peau qui "éclata". Et puis, ce qui est encore plus impressionnant, ses yeux éternellement cerclés d’une rougeur vive, parce que, précise-t-il, "mes paupières n’ont pu être refaites". "La guerre, une chose abominable..."

Six récits de combats en forme de carnet de vol

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Jean Hotellier s’installe dans son Curtiss en mai 1940 (ph. famille Hotellier).

Le 10 mai, décollage sur alerte à 04h10, une patrouille simple : adj. Hotellier, sergents Joire et Bompain. La patrouille prend contact vers 05h30 avec un Heinkel-111 à 5.500m à la verticale du terrain et débute les poursuites. Hotellier, handicapé par des problèmes de moteur, ne peut rejoindre le bombardier. Joire prend la tête de la poursuite et tire une 1ère rafale qui ralentit considérablement le Heinkel. Les 2 autres Curtiss peuvent à leur tour le tirer, ce qui provoque le saut de 2 parachutistes. Puis le bimoteur allemand se pose train rentré à Ell au Luxembourg. En début d’après midi ce même jour, le GC1/4 quitte Wez-Thuisy pour Dunkerque-Mardyck, d’où il va participer à la couverture de l’opération "Dyle-Breda" en Belgique et Hollande.

Le 13 mai, 18h00-19h15, une patrouille triple : adj. Hotellier, Lt Weis et sgt Joire. Joire décrit le combat dans une lettre à ses parents : "(…) Arrivée sur le secteur à 18h. Un quart d’heure de calme. Région très bombardée par endroits, églises et maisons détruites. Aperçu quelques Messerschmitt 109, j’en attaque un qui riposte sans résultat. Aussitôt après un beau Heinkel 111 en vue : celui-ci nous voyant largue ses bombes dans la nature. Hotellier l’attaque d’une belle rafale de 300m à 20m. Je suis et le finis, l’abandonnant à 30m du sol, les 2 moteurs sont en feu, un peu au nord de Rosendaal [NL]. C’est ensuite une grosse bagarre avec 6 Me.109 qui finissent par s’enfuir vers le Nord. Hotellier seul, évite l’attaque de 9 appareils ennemis en se réfugiant dans les nuages. Retour au complet. Pas une balle dans mon avion."

Le 17 mai. Les ordres pour cette journée sont donnés par l’amiral "Nord", car le groupe doit protéger des bombardiers en piqué de l’Aéronautique Navale opérant sur la digue de Walcheren à Beveland (NL). Le groupe les reçoit "en clair", ce qui ne manquera pas d’interpeller les pilotes ; 3ème mission, 16h00-16h30. Dès l’arrivée sur le secteur, les Curtiss sont attaqués par de nombreux Me.109 qui semblaient attendre, cette coïncidence leur semblant curieuse. La patrouille haute de Curtiss est pratiquement anéantie mais les 2 autres ont le temps de se retourner contre les agresseurs, obtenant 4 victoires. Hotellier écrit : "A 16h15 je me retrouve seul à 5.000m ; 2 Curtiss en patrouille, ceux du Lt Stiquel et du sgt Collard, se trouvent à environ 1.000m sous moi. A ce moment, je vois 3 Me.109 qui piquent sur eux. Je pique sur le dernier qui réagit violemment à ma première rafale plein arrière à 150m environ. Il fait des retournements au cours desquels j’ai de bonnes occasions de tir, en piquant vers l’est toujours suivi ; puis il réduit brutalement sa vitesse avant de percuter le sol sous un angle assez faible, train rentré. Je vois nettement quelques morceaux de l’avion s’éparpiller." Un autre Me.109 se pose dans les lignes françaises, son pilote déclarant avoir été "sonné" par un combat contre un Curtiss. Il sera collectivement homologué aux Lts Guillaume, Hirschauer, Stiquel, à l’adj. Hotellier, aux sgts-chefs Barès, Cartier ainsi qu’aux sgts Joire, Bompain et Collart.

Le 20 mai, le GC1/4, sur le point d’être encerclé, se replie jusqu’à Villacoublay, avec quelque 18 Curtiss. Son échelon roulant et de nombreux mécaniciens ne rejoignent pas cette base car capturés avec toutes leurs archives. Le 22 mai, 18h00-19h00, une patrouille triple, couverture Arras-Bapaume. Vers 18h40, un Dornier 17 est repéré au nord par la patrouille de l’adj. Hotellier et rapidement pris en chasse. Hotellier attaque le 1er par l’arrière, tire plusieurs rafales puis dégage alors que le bimoteur perd de l’huile. Ensuite Joire tire à son tour, touchant le bombardier de façon décisive. Le Lt Weis, reste en protection, jugeant son intervention injustifiée. Le Do.17 se réfugie dans un nuage dont il ressort beaucoup plus bas, étirant un long panache de fumée depuis son moteur droit. Il finit par s’écraser au sol à Pontru (Somme, F).

Le 26 mai à l’aube, protection de 2 Potez 63-11 du GR11/33 en reconnaissance sur Péronne-Arras-Valenciennes-St-Quentin ; une patrouille double du GC1/4 (5 Curtiss) et 2 doubles du GCIII/I (Morane 406). Après un 1er combat, 4 Curtiss rescapés se regroupent et sont aussitôt pris à partie par des Me.109. Hotellier, isolé avec un équipier, parvint à abattre un Me.109 qui ne lui sera reconnu que bien plus tard, avant de devoir sauter en parachute de son Curtiss no.109 mis en flammes, blessé et gravement brûlé. Au GC1/4, trois victoires seront homologuées le 26, mais 3 Curtiss sont perdus, au prix d’un tué et de 2 blessés prisonniers.

L’après-guerre ramène heureusement Jean Hotellier en escadrilles

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Aux commandes d’un Junkers 52/"Toucan" de l’armée française en 1950 (ph. famille Hotellier)

Jean Hotellier reprend du service le 20 février 1945, rejoint le Centre d’instruction militaire de l’Armée de l’Air à Valence, promu au grade de sous-lieutenant. Un mois plus tard, il est affecté au Centre d’instruction de la chasse de Meknès (Maroc) où il passe lieutenant en septembre. En mars 1946, "l’as" est moniteur à l’école d’entrainement des moniteurs à Tours. En octobre 1948, il sert à l’Escadrille d’instruction des troupes aéroportées à Pau. Le 16 juillet 1954, le capitaine Hotellier dirige l’Escadrille de liaisons aériennes 43 de Bordeaux. Commandant le 1er février 1958, il fait valoir ses droits à la retraite en mars 1964.

Marius Roche : "Ainsi se présente l’homme que la République éleva à la dignité de Commandeur de la Légion d’Honneur [+Médaille militaire] et qui vit avec sa mémoire dans sa ferme de Vesancy. Ses pensées les plus émouvantes, qu’il garde sur son cœur, se rattachent aux noms de grands amis, de compagnons de combat qui surgissent chez cet homme, comme autant de fantômes bien vivants, toujours présents dans ses souvenirs, au 1er rang desquels il place Jules Joire (1914-1944), dont il ne parle pas sans une profonde émotion, L.Delfino (1912-1968) - ils seront par la suite pilotes au Normandie-Niemen - et J.Cucumel (1915-1942) son compatriote de l’Ain [6+16+9 victoires]. Puis ce sont aussi toutes ces "machines" qu’il pilota, "cages-à-poules" ou engins plus performants, qui défilent dans sa mémoire avec affection, cités dans le désordre non sans humour parfois : Curtiss P.36, Kingcobra, Airacobra, P.40, P.47, et beaucoup d’autres encore."

- "Au total, environ 5.000h de vol pour ce pilote des pays de l’Ain qui, en tirant quelques bouffées sur sa pipe, se dit hanté par les actions que la guerre commandait, et qu’il a dû accomplir contre son gré. "J’ai tué des êtres humains qui étaient des gens comme moi" commente-t-il, la gorge serrée … "Et j’en ai du remords, car je n’étais pas obligé de la faire. J’ai été fou, j’ai pris des risques, mais c’était la guerre. Et la guerre, c’est la chose la plus abominable qui soit"… Grand pilote, valeureux soldat, mais et d’abord à l’heure du crépuscule où l’on fait le bilan de sa vie, un humaniste. C’est la leçon ultime de cet homme au grand courage, à la grande modestie aussi puisque, as de guerre, il veut affirmer jusqu’à son dernier souffle, sans que ce soit un paradoxe, sa volonté d’être avant tout un homme de paix. Quelques mois après lui avoir rendu visite, nous apprenions son décès, le 22 décembre 1996".

Appareils de la Lufwaffe détruits seul ou en groupe par Jean Hotellier à bord de son Curtiss H-75-A2 de l’escadrille GC1/4, en mai 1940

Victoire ==Date=== ==Heure== =====Type===== ==Unité= ======Lieu====== ==Partagée avec les pilotes===
1 10 mai 40 05h30 He 111, AI+NR( ?) 7./KG 53 Ell (Lux.) Sgt Jules Joire (1e victoire), Sgt Bompain.
2 13 mai 40 18h00 He 111P, SJ+FN 5./KG 4 Rosendaal (NL) Sgt J. Joire (2e victoire), Lt André Weis.
3 17 mai 40 16h/16h30 Me 109 E.3 1./JG20 Middelburg, N. de Beveland (NL)
4 17 mai 40 16h/16h30 Me 109 E.4, "9 blanc" 1./JG20 Merelbeck, Anvers (Bel.) Lt Edmond Guillaume (3e V.), Sgt Jules Joire (5e V.), Lt J.-Louis Hirschauer, Lt Stiquel, S/C Bès, Sgt Bompain, Sgt Cartier, Sgt Collart.
5 22 mai 40 18h40 Do 17 3.(F)/31 Pontru, Somme (80, F) Sgt Jules Joire (6e V.).
6 26 mai 40 Me 109 E 1./JG21 N.O Péronne (F)
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Curtiss H-75A-2 no.115 "13" du sergent Jules Joire de la 1ère escadrille du GC1/4. L’appareil de Jean Hotellier, similaire, portait le no.109 (mai 1940)
Par : Jean-Claude Cailliez
Le :  samedi 12 novembre 2011
  • Pour plus d’information, lire : "Les Hotellier, histoire d’une famille" de Pierre Hotellier, 2007, 100pp, ills ; "Des ailes et des hommes", de Marius Roche, Ed. Taillanderie, pp:86-88, 2 ills ; ainsi que le magazine : "Avions Hors-série" no.20, mars 2007 pp:87-89, 4 ills, à la "Librairie".
  • [11.2011] Jean Hotellier, as de la chasse française (1940, diaporama n&b, 02’52’’, 6Mo). Format MP4.

     
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