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[article n° 460]
Les vols de Swissair en DC-4 vers l’Afrique du sud : incendie en vol au-dessus de l’Angola (1948) [2 vidéos]
  Dès mi-1947 Swissair teste le transport sur de longues distances à bord de ses nouveaux Douglas DC-4 lors de vols "spéciaux" (= charter). La Cie vise, à terme, des vols réguliers vers New-York, le Brésil, le Moyen-Orient, l’Inde et la lointaine Afrique du Sud. Johannes- burg sera desservie durant 20 mois au départ de Cointrin. En ces temps là, l’aventure n’est jamais bien loin du vol "idéal". Au début 1948, un incendie se déclare à bord du HB- ILO au dessus de la forêt angolaise, impliquant l’arrêt des instruments de vol. Aux commandes, le chevron- né Cdt Walter Borner qui aime défricher de nouvelles lignes...
Un DC4 aux couleurs de Swissair, non pressurisé, apte à transporter une quarantaine de passagers sur des étapes de 4.600 km vers l’Afrique du Sud.

Dès la mi 1947, défrichage de la ligne vers Johannesburg en DC-4

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Une affiche de Viktor Asslauer, de 1948.

En décembre 1946 Swissair reçoit son 1er DC-4 (HB-ILA "Genève") qui sera suivi de 4 autres (ILE, ILI, ILO, ILU). L’appareil et ses 4 moteurs à piston peuvent voler 15 heures à une vitesse de croisière de 340 km/h. Les étapes peuvent durer 4.600 km. La cabine du Skymaster non pressurisée est équipée de 44 à 55 sièges. L’équipage de cinq est doublé et comprend : capitaine, copilote, 2 navigateurs, 2 radios, 2 mécanos de bord et 2-3 steward-esses en cabine. Le poids maximum au décollage est de 33 tonnes. De l’extérieur, la carlingue de l’avion de couleur argentée/métallique porte l’inscription "Swiss Air Lines". C’est le "must" d’alors avec le "Constellation !

Le 1er vol d’essai de Swissair sur une longue distance fut le Genève-New York de mai 1947 (voir : Récit) piloté par Walter Borner (voir : Biogr.). Le dimanche 3 août a lieu le 1er vol "spécial" (=charter) vers Johannesburg emportant 43 passagers à bord du HB-ILO. L’avion a d’abord effectué le même jour un vol spécial à Londres pour y chercher 31 passagers se rendant en Afrique du Sud. En soute, un peu de fret dont 60kg de poste constituée d’envois spéciaux pour les philatélistes, associés à ce 1er vol Suisse-Afrique du Sud. Deux équipages complets embarquent ainsi qu’un navigateur/instructeur de vol américain. Traversant l’Afrique par l’est, les escales ont lieu au Caire, à Khartoum, à Nairobi et Elisabethville (=Lubumbashi, sud Zaïre). Le HB-ILO arrive dans l’après-midi du mercredi 6 août à Johannesburg. Le vol de retour décollera le 12 août, à 15h, via Nairobi, Khartoum le Caire pour arriver à Genève le jeudi 14 août à 15h42. Il faut 32 heures de vol pour faire le trajet aller !

Chaque date d’arrivée et de départ de l’aérodrome de Palmietfontein, au sud de Jo’burg, est négociée avec les Sudafricains et il n’est pas possible d’en changer. En 1947, seuls 3 vols spéciaux ont lieu : le 3 août (HB-ILO), le vendredi 21 novembre (HB-ILI) et le lundi 15 décembre (HB-ILI). En 1948 le nouvel itinéraire, plus direct, passe par Tunis, Kano (Nigeria) Léopoldville (=Kinshasa, Zaïre) et Jo’burg. Un vol retour fait une exception, passant par Accra (Ghana) en mars 1948. Globalement, le vol aller s’exécute dès lors sur 3 jours et l’aller-retour s’étale sur une semaine (52h de vol), mais parfois le tout est compressé en 5 jours (janv. 48) et les pilotes ne chôment pas ! Il y eut 20 aller-retour en 1948 : les jeudi 15 janvier et 29 janvier (HB-ILO*), les dimanches 15 février (HB-ILA*) et 29 février (HB-ILO*), lundis 15 mars (HB-ILO*) et 29 mars (HB-ILA*), dimanches 11 et 25 avril (HB-ILA*), 9 mai (HB-ILE*) et 23 mai, 6 juin (HB-ILA*), 11 juillet, 1er août (HB-ILO), 5 septembre (HB-ILO*), 26 septembre, 10 et 24 octobre, le lundi 13 décembre et 2 autres dates. Quant à 1949, il n’y eut que 2 vols : dimanche 24 janvier (HB-ILO) et lundi 14 mars. Sur 20 mois, 25 vols seront totalisés [Nb : * = pilote W.Borner)].

Quelques sujets particuliers en lien avec la ligne vers le Transvaal

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Le Genevois Walter Borner devant le DC-4 HB-ILE.

Passage de l’équateur : Entre Kano et Léopoldville c’est un événement que de survoler l’équateur. Le pilote ne manque jamais de l’annoncer solennellement et faire faire un "bond" symbolique à l’avion. Parfois un membre de l’équipage se déguise en Neptune avec une couronne dorée et une toque rouge et célèbre ce baptême (vieille tradition de marine). Les passagers reçoivent une attestation en bonne et due forme. René Gardi raconte (1948) : "Les messieurs, au moins, ont tous trinqué avec l’hôtesse d’un verre de champagne qui tinta clairement dans l’avion, tandis qu’au-dessous de nous le Congo inerte se tortillait autour de l’équateur, jusqu’à ce que le pilote, appuie sur le manche à balai faisant chuter le nez de l’appareil, de sorte que nous sommes un petit nombre à être tombés comme dans un ascenseur. Les dames effrayées ont crié et nous avons perdu un peu de notre précieuse boisson. Ainsi avons-nous été baptisés ! Heureusement, le champagne, ça ne tache pas !

Hôtellerie : Les passagers passent leur 1ère nuit en vol et la seconde à l’hôtel. Ainsi ils peuvent arriver presque rasés de frais à destination. A l’aller, l’hébergement se fait à Léopoldville, au retour à Kano. Un steward est alors chargé de missions supplémentaires. Hans Frichte cite (1949) : A l’étape nous logions dans le même hôtel que les passagers. Je devais leur trouver des chambres, donner des instructions précises à la cuisine pour le dîner et faire en sorte que tous les clients soient réveillés à temps le lendemain matin. A l’aube je me levais avant tout le monde pour préparer la cabine de l’avion." Sans compter le déchargement et rechargement des bagages…

Le cap vers le sud : Une petite coupole vitrée au plafond près du poste du navigateur existe. Si le soleil ou les étoiles sont visibles, à l’aide d’un sextant, il est possible de déduire sa position géographique. Par temps couvert, ce n’est pratiquement d’aucune utilité…

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Le cockpit du DC-4 HB-ILO.

Cabine non pressurisée : Cet avion non pressurisé, parcouru de courants d’air, ne peut pas emporter de passagers au-dessus de 3.500m. Il est donc régulièrement ballotté dans les couches nuageuses et sensible aux vents aériens (turbulences). Hélas, pendant le vol, une bonne partie des passagers sont malades. Le steward Hermann Ochsenbein cite : "En temps normal on était terriblement secoués, et j’avais l’impression que les passagers étaient sans cesse en proie aux affres du mal de l’air. Hélas, les équipages n’étaient pas épargnés."

Des armes à bord : Walter Borner l’avait mentionné à son fils Alain Borner (1932-2019) : "La ligne vers Johannesburg, avec ses 10.000 km d’aller, c’était la plus longue. Une fois, un avion étranger fut porté disparu sur cette ligne : on retrouva tardivement la carcasse dans la jungle, mais aucuns restes humains. Les hommes auraient été mangés par les cannibales( ?) qui avaient conservé des pièces d’uniforme." Un NOTAM de Swissair imposa l’emport de fusil et pistolets à bord du DC-4 pour lutter contre tout carnivore…

Feu à bord : Incendie en soute au-dessus de la jungle angolaise

Le 17 mars 1948 Walter Borner, vient de faire une escale à Léopoldville et se dirige avec son DC-4 HB-ILO "Luzern" vers Jo’burg pour une étape de 2.900km (8H30 à 9h de vol). Il a raconté cette histoire dans le livre "Les pilotes" et dans la presse locale de 1976, référencés ci-après. Le début du voyage est sans histoire. Borner survole l’Angola lorsqu’il rencontre des difficultés :

- "Le temps était exécrable, je n’y voyais pas grand-chose. Je demandais alors au navigateur de faire le point car je craignais que l’on ne s’écarte de la route. C’est alors qu’il me signala à l’extérieur de petits nuages jaunes, comme une sorte de fumée. Dans le même temps, un steward vint m’avertir qu’un de nos passagers se plaignait d’une forte chaleur sous son siège. Plus de doute, il y avait le feu à bord, probablement dans la soute qui se trouvait à l’arrière de l’appareil."

- "A ce moment précis, toutes les aiguilles de mes instruments de bord se sont inclinées avec un bel ensemble vers le zéro. Panne électrique ! C’était la poisse, je ne savais plus quel était le niveau de carburant dans les réservoirs, j’ignorai mon cap. Bref, plus rien ne marchait. Je confiais les commandes au copilote et allais voir ce qui se passait en essayant de rassurer les passagers qui commençaient de s’inquiéter sérieusement" [Un steward avait vidé un des 3 extincteur dans les W.C. croyant que le feu venait de là et s’était fait enguirlandé par le pilote. On cherchait maintenant la source du feu sous le siège d’un passager.]

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La coupole surmontant le cockpit permet d’observer les astres et aide à la navigation.

- "On démonta la rangée de sièges et le plancher et on comprit assez vite la raison de l’incendie. Le feu avait été provoqué du côté des plateaux à repas. Nous avons pu, assez rapidement, venir à bout de ce début d’incendie à l’aide des extincteurs." [Heureusement, les 2 petits extincteurs restants ont suffi. Que faire alors ? Se poser et courir le risque de finir dans la marmite des cannibales ?]

- "Mais il fallait encore pouvoir rejoindre Johannesburg. Sans instruments de navigation, sans radio. Les choses ne se présentaient pas très bien. Je décidai alors de perdre de l’altitude pour mieux y voir car le temps ne s’était pas amélioré. Arrivé à 500m de haut à peu près avec l’aide de mon navigateur, j’ai cherché mon chemin." [W.Borner est obligé de faire du vol à vue. Après un certain temps, il détecte à l’est le nuage de brume permanent présent au-dessus des chutes Victoria à la frontière Zambie-Zimbabwe qui lui indique le plein sud.] "Nous avons un peu peiné pour nous y retrouver mais en définitive nous sommes arrivés à Johannesburg avec une heure cinq minutes de retard. J’ai appris, plus tard que les autorités, ne nous voyant pas venir, étaient sur le point de déclencher l’alerte."

- "Nous n’étions pas au bout de nos peines. J’avais actionné la sortie du train d’atterrissage, mais, faute d’instruments, j’ignorai si la manœuvre avait été convenablement effectuée. En bas, ils s’étonnaient de mon silence radio et ne comprenait pas pour quelle raison j’hésitai à me poser sur la piste qui était libre. Alors, à plusieurs reprises, je suis passé en rase-motte au-dessus de la tour de contrôle tout en actionnant la manette qui commandait la sortie du train. Finalement, ils ont compris et ils ont lancé une fusée verte pour m’indiquer que le train était convenablement verrouillé et que je pouvais atterrir". [Après avoir fait trois tours de piste W.Borner réalise un "kiss landing", un posé "sur des oeufs", par sécurité] "Lorsque les roues ont touché le sol, nous avons dans le cockpit poussé un énorme soupir de soulagement."

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Passagers arrivant à Palmietfontein (Johannesburg).

- "Une fois à Johannesburg, on s’aperçut qu’à Cointrin, l’intendance avait mis dans la soute des plateaux à repas d’un format prévu pour un autre avion. Comme ils étaient trop longs, ils avaient appuyé sur des fils électriques au fond de leur rangement, provoquant un court-circuit puis un incendie." De plus le câble-antenne radio extérieur d’un diamètre de 15mm était aussi brûlé ! Le soir, l’équipage a fêté sa "re-naissance". Quand à l’avion il sera immobilisé à Jo’burg puis Zurich pour plusieurs semaines de réparation.

La fin de la ligne Genève-Johannesburg

En mars 1949, la South-African-Airways inaugure sa propre ligne Jo’burg-Le Caire en DC-4. Les autorités sud-africaines refusent dès lors d’accorder davantage de droits d’exploitation à Swissair, se débarrassant ainsi d’un concurrent. Elles ont déjà assez de concurrence avec les Anglais, Français (vers Madagascar), Belges ou Hollandais (diamantaires). La Sabena (Be) utilise maintenant le Douglas DC-6 plus rapide et réalise Bruxelles-Jo’burg en 21h de vol (nov.48). En 1952, le "Comet" à réaction de la BOAC fera même l’aller-retour Londres-Jo’burg en 24h, avec 6 escales incluses.

A la fin 1949, suite à la dévalorisation de la Livre Sterling, Swissair traverse une difficile période de crise. La majorité des ses vols relient la Suisse à l’Angleterre et une grosse partie du cash de Swissair est en Livre Sterling. Il faudra attendre des années avant que Swissair ne vole à nouveau vers le Transvaal (avril 1968).

Quant au DC-4 HB-ILO, réparé, il reprendra du service sur le réseau Swissair, notamment sur la ligne Genève-New-York (mai 49). Mais lors du long épisode de brouillard européen de décembre 1951, il se crashera vers Amsterdam le 14 où il brûlera complètement - équipage et passagers indemnes - après 56 mois de service (voir : Récit).

Walter Borner terminera sa carrière en 1961 avec plus de 6,3 millions de km, rien qu’aux commandes d’avions à pistons et hélices. Il n’a pas eu la chance de piloter un jet commercial, comme ceux mis en œuvre par Swissair dès l’été 1960 (Caravelle, DC-8). Par contre il fut le pilote favori du général Guisan (Suisse), du Négus (Ethiopie) et l’un des défricheurs incontestés de lignes aériennes chez Swissair (voir : Biogr.).

 

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C-47/DC-4 HB-ILO "Luzern", c/n.43098, de Swissair : 30.04.1947-14.12.1951.
Par : Jean-Claude Cailliez
Le :  mardi 13 novembre 2018
  • Pour plus d’information, lire : La Tribune de Genève du 24.02.1976. Le Courrier du 25.02.1976. Le livre "Les pilotes", de G.Chambost & J.P.Mithois, Presses de la Cité, Paris 1976, pp:144-145, à la "Librairie".
  • [11.2018] Avec Swissair en DC-4 vers l’Afrique du Sud (1947-1949) (diaporama, 59ph, 06’08’’, 14Mo). Format MP4.
    [11.2018] Des DC-4 de Swissair : HB-ILA, HB-ILI, HB-ILO (1946-1951) (vidéo n&b musicale, 03’32’’, 130Mo). Nécessite le plugin QuickTime 7.5 minimum.

     
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