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[article n° 486]
René CHARPENTIER (1895-1983) pilote de ligne du Paris-Genève, représentant Air France à Cointrin(1926-38)[vidéo]
  L’efficace lien aérien entre Paris et Genève s’est surtout matérialisé à Cointrin par la présence du pilote français René Charpentier. De 1926 à 1938, il brave les éléments, la montagne, en même temps qu’il représente sa compagnie à Genève (Air-Union puis Air-France). Il donne aussi localement de nombreux baptêmes de l’air lors des Journées populaires d’aviation. Mais sa carrière aérienne débute déjà lors de la 1ère Guerre mondiale et se poursuit durant la 2ème. Entre temps, il pilote même sur l’Atlantique des avions-courriers vers le Brésil en compagnie de Guillaumet.
René Charpentier (1895-1983) le pilote et représentant de sa compagnie française à Cointrin, vu alors qu’il va voler avec le Morane-317 de Randolph Trafford (CH-184) en été 1927 ou 1929.

Pilote militaire de la Première Guerre mondiale et pilote civil sur Lyon-Genève

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A Cointrin, René Charpentier vient d’arriver à bord d’un Spad 33 d’Air Union.

A 19 ans, en 1914, le Français René H. Charpentier est mobilisé au début de la 1ère Guerre mondiale. En 1915, il est affecté au 2ème groupe d’aviation de Lyon-Bron en tant que mécanicien. Il passe rapidement au rôle de monteur puis de metteur au point d’avions. Déjà dans sa jeunesse, aidé d’un ami, il avait construit un moteur d’avion qui avait été testé avec succès. L’ambition de Charpentier ne s’arrête pas là car on le voit ensuite devenir élève pilote à Chartres où il sera breveté en décembre (matricule 0549), brevet officialisé le 4 février 1916 (no.2830). Il intègrera une escadrille de reconnaissance, de bombardement, puis une escadrille de chasse et termine la guerre comme moniteur de vol à Chartres. Il est titulaire de la Médaille commémorative de la guerre de 1914-1918.

Charpentier fait partie de ces pilotes militaires qui trouvent rapidement un emploi dans l’aviation française de transport civil naissante. Dès 1919 il pilote pour la Cie des Messageries aériennes, puis à la Cie Franco Roumaine (CFRNA, 1920) avant d’entrer à Air Union. Il pilote alors sur des lignes telles que Paris-Casablanca ou Paris-Strasbourg-Prague, entre autres. On fait la connaissance de Charpentier à Genève en 1926 quand il mène les vols d’Air Union sur Lyon-Genève-Lyon, puis Paris-Lyon-Genève et retour. Pendant 12 ans le pilote assurera, seul membre d’équipage à bord, le vol quotidien des jours de la semaine, entre mai et octobre, bravant le Jura, le brouillard, à bord d’avions sans radio et sans guidage quelconque au début. Curiosité : le pilote affecté à cette ligne dispose d’un régime particulier : il assure le vol mais aussi le poste de représentant de la Cie à Genève (chef de place). Les 1ères liaisons aériennes sont alors assurées par des avions Blériot Spad-33 transportant 4 passagers emportant leurs bagages à l’intérieur de la cabine. Le pilote, lui, est à l’arrière de cette cabine, mais la tête à l’extérieur de la carlingue !

Une exception à ces vols réguliers se tient en janvier-mars 1930 quand Charpentier est détaché avec Louis Agnus par Air Union auprès d’un particulier : Willy Zietz. Il s’agit d’un très riche Allemand résidant à Genève qui est propriétaire d’un trimoteur hollandais Fokker, du même type que ceux utilisés à l’époque par KLM, puis plus tard par Air-France. Les 2 pilotes volent dans des conditions tout à fait confortables : tous frais payés, rémunérés à 7.000FFr par mois, une véritable aubaine, compte tenu des missions réalisées. L’appareil est baptisé "Extra Dry", immatriculé en Angleterre (G-AATG), équipé d’un poste de TSF Marconi : Il avait un tableau de bord impressionnant car il avait été équipé pour aller aux Indes. En réalité, il n’a pas dépassé la France : les raids qu’il devait entreprendre se sont bornés à un Genève-Paris et quelques promenades touristiques en rase-mottes sur les lacs suisses.

Le baptême de l’air des Genevois puis le partage avec Swissair

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Charpentier devant un "Rohrbach RO-VIIIA Roland" allemand à Cointrin en 1929.

A l’aérodrome de Cointrin, les rares compagnies aériennes et l’Aéro-Club de Genève mettent sur pied les JPA : Journées populaires d’aviation (voir : Récit). Le but est de démocratiser l’aviation commerciale, d’habituer le public à l’avion en donnant des baptêmes de l’air à bas prix. Une douzaine de journées se sont tenues entre 1926 et 1930, en été, regroupant de 4 à 6 avions à chaque occasion. Air Union ne manque aucune de ces manifestations du week-end, dont Charpentier assure l’efficace présence dès 1927. Les avions utilisés par Air Union sont le Spad-33 à moteur Salmson 260CV pour 4 passagers (1927-28), le Farman "Goliath" (1927-28), puis le Bréguet 280, limousine à 8 places. Un incident : le 11 août 1927, suite à un fort orage enrichi d’éclairs sur la région du Fort l’Ecluse (Ain), Charpentier vire à l’est, réussit à trouver son chemin en faisant de nombreux crochets entre les zones dangereuses. Il est contraint de poser son appareil et ses 3 passagers sur un pré d’Arenthon proche de Bonneville en Hte-Savoie d’où ils repartiront un peu plus tard. Par ailleurs, dès 1928, le Farman "Goliath" d’Air Union emmène déjà ses passagers survoler le Mont-Blanc !

Ces JPA cessent en 1931 à la naissance de Swissair qui vise à l’exclusivité de l’emport de passagers au départ de Cointrin. Dès le 1er mai, date de début de la saison, Air Union et Swissair exploitent dès lors conjointement la ligne Genève-Lyon avec des monomoteurs Breguet 281.T "Rapid Azur" et des trimoteurs Fokker F.VII/3m. Charpentier est l’un des pilotes assurant cette liaison de 3 allers-retours par semaine. Le 2 mai 1932, la ligne régulière directe Genève-Paris est inaugurée, toujours en pool avec Swissair et Air Union, utilisant le même type d’avions. Le billet aller coûte 420 francs suisses pour 2h40 de vol. En hiver, il faut à Charpentier un entraînement spécial car, sans aide-radio, il lui faut louvoyer entre les monts du Jura avec parfois peu de visibilité ; l’avion chargé plafonnant à moins de 2.000m. En octobre 1933 nait la Cie Air France qui englobe entre autres Air Union et gère le Paris-Genève. En 1935, non rentable, la ligne directe repasse à nouveau par Lyon. En juillet 1936, c’est sur cette ligne que le commandant d’Air France Charpentier découvre qu’il a volé plus de 1.350.000km durant ces 10 dernières années.

Parmi les vols assez originaux conduits par Charpentier vers Genève, il faut citer, en novembre 1931, une importante livraison d’or. Malgré un temps défavorable, le pilote d’Air Union arrive un samedi vers 9h, venant de Paris, à bord d’un avion type LeO 213 "Golden Ray". Il transporte des tonnelets de 600kg d’or à destination d’une banque genevoise. Dès l’atterrissage l’or est transporté dans les caveaux de la banque. Cet or avait été expédié de New-York, via Cherbourg. Par ailleurs, on voit qu’on vole dorénavant sans interruption tout au long de l’année depuis 1930, quelle que soit la météo, avec un service réduit durant l’hiver.

La tempête de neige et le crash près de Confignon (GE)

Le samedi 25 novembre 1933, vers 17h, l’avion du service Lyon-Genève piloté par René Charpentier est surpris par la tourmente de neige et par un épais brouillard alors qu’il se trouve dans la région de Bernex (GE). Le pilote d’Air France ne distingue plus sa route, cherche, mais sans résultat, à entrer en contact par TSF avec l’aérodrome. Il tourne depuis 10 minutes sur la région et la nuit approche. Le pilote prend la résolution d’atterrir et choisit un terrain près du cimetière de Confignon. La visibilité est si mauvaise, et les champs sont déjà recouverts de 5 à 6 cm de neige, que le pilote ne peut apercevoir que le terrain choisi est traversé par un talus d’environ 2m de haut. L’avion roule une trentaine de mètres, puis bute, étant encore à pleine vitesse, contre le talus. Le train d’atterrissage se brise, la carlingue poursuit sa course en glissant une dizaine de mètres dans un champ, à 6km de l’aéroport.

Les secours sont prompts et Mr Foëx, le maire, arrive le 1er et prend immédiatement toutes les dispositions que demandent la situation et surtout d’empêcher que des fumeurs s’approchent. Charpentier est seul à bord de l’appareil, il est indemne. Craignant que son avion ne prenne feu, l’un des réservoirs d’essence ayant été crevé, il saute rapidement hors de l’appareil et se fait une légère ecchymose au menton. Malgré la météo, une foule de curieux se rend sur place dont des joueurs de golf et des caddies qui se trouvaient à proximité. Un service d’ordre est organisé par le sous-brigadier de gendarmerie Vernaz, du poste de Bernex, et des piquets et des cordes sont placés pour éloigner les curieux. Le pré d’Adolf Briefer se situe à la sortie de Confignon, en direction de Bernex, près du 2ème chemin sur la gauche. L’avion est un Breguet 280T de 600cv de couleur bleue claire (F-AJKY). Il a subi d’importants dégâts, mais est cependant réutilisable. Charpentier ôte alors les instruments de bord de son avion.

Bratschi, chef de l’aérodrome, le capitaine Weber, et le préposé aux douanes avisés par téléphone se rendent sur place. Le fret et la poste que transporte l’avion sont descendus en ville en auto. La police étant mobilisée pour surveiller les locaux de vote, les pompiers de Confignon assumeront toute la nuit la garde de l’avion. Bratschi informe l’Office aérien de l’accident, mais aucune enquête officielle n’est ouverte car il s’agit d’un atterrissage forcé et il n’y a pas de blessé. Charpentier, pilote émérite, n’a en aucun moment perdu son sang-froid et la maîtrise de son appareil. Il dit que son voyage s’était bien effectué jusqu’au Vuache. Sitôt après avoir franchi le Mont-de-Sion, il se rendit compte que la vallée genevoise était très bouchée. Faire demi-tour lui était impossible. Il tenta en vain de se diriger par la TSF mais ses appels restèrent sans réponse, la météo empêchant toute communication. Voyant l’impossibilité de rallier Cointrin, il prit la décision d’atterrir ayant l’espoir de se poser sur le terrain du golf. Mais la neige rendait le terrain invisible ; c’est pourquoi il décida d’atterrir coûte que coûte.

 

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Le Breguet F-AJKY crashé à Confignon suite à une tempête de neige (11.1933).

Les raids postaux à travers l’Atlantique, etc.

Le 15 mai 1937 Air France relance la ligne directe Paris-Genève qui s’effectue maintenant en bimoteur Potez 62 (14 places). La 1ère piste en béton de Cointrin, de 400m, permet l’emploi d’appareils plus grands. Le vol aller vers le-Bourget dure de 1h30 à 2h pour un prix de 400 francs. Charpentier est toujours fidèle au poste. Mais en janvier 1939, l’homme quitte Genève pour assurer d’autres vols d’Air France. Il est affecté au réseau Atlantique-Sud sur la ligne régulière postale Dakar (Sénégal) – Natal (Brésil) - Dakar. Il y effectue huit traversées en tant que copilote à bord de quadrimoteurs Farman F2200 (F-AOXF, F-AQCX) avec des pilotes tels que Guillaumet ou Reine, assistés d’un navigateur, d’un radio et d’un mécanicien. Il participe ensuite au 1er voyage transatlantique Paris—New-York sous la direction de Codos. Mais la 2ème Guerre mondiale met fin à l’activité de ces lignes à l’été 1940. Charpentier cumule alors 10.475 heures de vol. A 45 ans, il est à nouveau militaire et affecté à la défense côtière française.

En 1946, la Libération ramène Charpentier à Genève où il va résider au no.17 du chemin des Crêts. Il occupe maintenant à Cointrin la fonction de Chef de place et de représentant de la compagnie hollandaise KLM, poste qu’il conservera jusqu’en octobre 1956. A 61 ans, il va encore s’investir quelque temps dans une firme industrielle aéronautique française. Puis cet aviateur de talent s’éteint le 23 janvier 1983, à 89 ans. Il aura été bien honoré entre temps : Officier de la Légion d’honneur (10.1935), Commandeur de l’Ordre national du Mérite et Médaille de l’aéronautique. Il repose au cimetière de Laigne-les-Bois (Vienne, F).

Il reste à rappeler que Charpentier était un grand ami de Charles Bratschi, le directeur de l’aéroport de Cointrin de 1935 à 1972. Bratschi l’avait surnommé "La Charpente", peut-être en lien avec le gabarit de l’aviateur. Le personnel de l’aéroport le connaissait tout aussi bien car l’homme avait du caractère et l’art de colporter les bonnes histoires ou les bonnes blagues.

 

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Charpentier en uniforme de commandant d’Air France, près d’un Breguet 280T (F-AIXD).
Par : Jean-Claude Cailliez
Le :  lundi 11 mars 2019
  • Pour plus d’information, il n’y a que Pionnair !
  • [03.2019] René Charpentier (1895-1983) : 50 ans d’aviation dont la moitié au service de Genève (diaporama n&b, 50ph, 05’22’’, 13Mo). Format MP4.

     
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