Au début du 20ème siècle, Henri et Armand Dufaux ont déjà conçu un type de motocyclette qui obtient beaucoup de succès et que l’on appellera la Motosacoche [1]. Ils ont fondé une industrie prospère qui leur permet de s’adonner à leur nouvelle passion : l’aéronautique. Dès 1902, les Dufaux veulent concevoir et construire un appareil aérien capable tout à la fois de s’élever verticalement comme un hélicoptère ou de décoller horizontalement comme un avion. C’est un projet ambitieux puisque les avions ne volent pas encore à l’époque et que l’hélicoptère piloté ne s’élèvera véritablement que dans plusieurs années. Quoi qu’il en soit, les Dufaux imaginent de toute pièce un concept d’appareil polyvalent qui fera ses preuves 52 ans plus tard et rentrera en service quelque 100 ans après ("Tiltrotor" OV-22 Osprey). Mais ce délai, ils l’ignorent encore, sinon ils se consacreraient probablement à d’autres recherches.
Motoriser le modèle réduit d’un aéronef qui sera à la fois un avion et un hélicoptère !
Avant de construire cet appareil en grandeur réelle, les frères Dufaux débutent par un prototype sous forme d’un modèle réduit qu’il faut équiper d’un moteur adéquat. Ne connaissant aucun petit moteur léger et puissant disponible, ils extrapolent le moteur créé pour la Motosacoche et réalisent un miracle de technologie de 3,1 CV pour 4,5 kg, qui est un record poids/puissance de 1903 : 1,5 kg par CV ! Quand ils relient ce moteur à des hélices contrarotatives latérales, il créent un ensemble propulsif que l’on baptise bientôt "l’hélicoptère Dufaux" bien que cette motorisation ne soit qu’un sous-ensemble destiné aux essais du modèle-réduit qui, lui, est déjà testé durant l’année 1904.
Démonstrations publiques près de Plainpalais
L’hélicoptère-Dufaux et ses deux doubles hélices, posé sur son support, entre Armand Dufaux, 25 ans, à gauche, et son frère Henri Dufaux, 22 ans (1905).
Bientôt, les frères Dufaux se rendent compte que leurs recherches en cours passent par des phases qu’il est déjà intéressant de montrer au public genevois. Début 1905 ils vont pratiquer des démonstrations de leur "hélicoptère" dans le Bâtiment électoral situé sous l’actuel "Uni-2" (Plainpalais, GE). L’appareil est attaché à un câble coulissant entre des poulies au sol et deux au plafond. Il démarre "à la ficelle" et s’élève guidé par un câble et des poulies, tractant un lest de 6,5kg. Les démonstrations, annoncées par la presse ont lieu entre le 13 et le 17 avril 1905.
Le public est hélas peu nombreux. Il y a bien la visite de quelques maîtres de classes techniques avec leurs élèves, de personnalités et le passage du conseiller fédéral Louis Forrer qui doit inaugurer dans quelques jours le premier Salon de l’automobile de Genève. A ce sujet, l’une des images connues illustrant ce salon nous montre le stand Motosacoche, au dessus duquel est exposé le fameux modèle-réduit, équipé en son centre de "l’hélicoptère" qui lui sert de motorisation, rare illustration du concept novateur de Henri et Armand Dufaux.
Un grand succès à Paris devant l’élite des précurseurs aéronautiques
La presse ne mesure pas la portée de la réalisation des deux pionniers genevois. Il s’agit en fait du 1er appareil au monde capable de quitter le sol en emportant à la fois son moteur, son carburant ainsi qu’une charge additionnelle et fonctionnant avec un moteur à explosion ! Les deux frères vont alors réaliser leurs démonstrations à Paris, devant l’élite des aérostiers, constructeurs et sportsmen d’alors. Une quarantaine de démonstrations se déroulent du 12 au 14 mai, en présence notamment de Louis Blériot, Alberto Santos-Dumont, Clément Ader, Henri Farman, Gabriel Voisin, le capitaine Ferber etc. Henri et Armand Dufaux (25 et 22 ans) obtiennent un triomphe que l’on mesure encore dans les journaux d’époque.
Pour l’anecdote, les démonstrations se déroulent dans un immense hangar à ballons vide où le plafond est haut de 25 à 30 m. Lorsque l’hélicoptère est mis en marche, il se produit un tel déplacement d’air qu’un véritable cyclone de poussière s’élève dans le hangar, le remplit et couvre tous les spectateurs qui ne pouvaient prévoir une telle situation ! Et l’appareil s’envole, s’envole, dans le plan vertical, en une ascension rapide et équilibrée, retenu à la dernière minute par un câble saisi par l’un des frères Dufaux.
L’appareil épate ces membres de l’Aéro-Club de France et Blériot ébloui, tente en vain d’acheter un moteur semblable aux Dufaux. Plusieurs d’entre eux vont tenter de construire un hélicoptère piloté, et l’un fera quelques bonds entre les mains de Paul Cornu en 1907. Depuis cette époque "l’hélicoptère Dufaux" est préservé à Paris, au Conservatoire National des Arts et Métiers (CNAM), à côté d’autres célèbres et historiques inventions.
Passer en grandeur réelle
Les frères Dufaux vont poursuivre leurs travaux jusqu’en 1909 et tester sur la plaine de Bière, en grandeur réelle, leur appareil "Tiltrotor" ou "convertible", hélas sans succès (voir : Récit). Ils ont 45 ans d’avance mais la technologie disponible est insuffisante. Ils se lanceront alors dans l’aviation où ils réussiront si bien (voir : Appareil).