Le site des pionniers de l’aéronautique à Genève 
Des Genevois chez eux ou ailleurs et des étrangers dans Genève 
[article n° 91]
Un Zeppelin largue sur l’Helvétie, dont Genève, un certain nombre de bombes philatéliques (1929) [vidéo]

 

Le plus grand dirigeable en exercice, le "Graf Zeppelin", fait un 1er voyage d’agrément au-dessus de la Suisse, de Friedrichshafen à Genève, tout en survolant les grandes villes. Sur certaines cités dont Genève, il largue des lots de courriers à destination de l’étranger. A midi, les Genevois bénéficient aussi de 50 minutes de grand spectacle lorsque le LZ-127 rase les toits de la vieille-ville. Quelque 80 ans après, on se dispute toujours les courriers des 26 et 27 septembre 1929.


Pour son 1er voyage en Suisse, le LZ-127 "Graf Zeppelin" vole au dessus de la Rade de Genève le 26 septembre 1929.

Alors c’est vrai, on va voir le géant de chez Zeppelin ?

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Genève, le jeudi 26.09.1929.

Interdits de vol après la 1ère Guerre mondiale, les dirigeables allemands reprennent de l’activité dès 1927. Le LZ-127 "Graf Zeppelin", baptisé du nom du Comte Ferdinand von Zeppelin (1838-1917), est lancé en septembre 1928. Il est le plus grand dirigeable au monde. Il réalise bientôt le tour de la planète en 1929 et dès l’été on peut le voir occasionnellement au-dessus du sol suisse, mais plutôt du côté de la Suisse-alémanique et du lac de Constance (voir : Appareil).

Pourtant, le jeudi 26 septembre 1929, La Tribune de Genève annonce in extremis à tous que le "Comte Zeppelin" survolera Genève ce même jeudi dès 11h. Le dirigeable quittera Friedrichshafen à 7h30, pour une croisière en Suisse avec de nombreux passagers. L’itinéraire annoncé passe par Frauenfeld, Winterthur et Zurich. Puis l’appareil gagnera le lac des Quatre-Cantons et Berne, où, si le temps est favorable, il fera un crochet sur Interlaken. Le LZ-127 survolera ensuite Fribourg, Lausanne et Genève pour revenir à son port d’attache par Neuchâtel, Bienne, Soleure, Delémont, Bâle, Aarau, et Schaffhouse. Grâce à sa vitesse de 100 km/h on estime que le zeppelin survolera Genève entre 11h et midi. Des nouvelles du dirigeable sont encore données en permanence à la radio. Après toutes ces informations et le café du matin, il y a bientôt de très nombreux "guetteurs" dans la Cité des Nations.

Finalement l’humeur du grand ballon, celle de son capitaine, ou plutôt de la météo, fait voguer l’appareil sur un tout autre itinéraire. Après son départ (8h23), il croisera Stein-am-Rhein (8h40), Frauenfeld (8h50), Waldstatt (09h00). Il faut faire vite pour sortir son appareil photo et capturer les 236m du dirigeable voguant à 1.800m au-dessus du sol. Puis il survole Aarau (9h30), Olten (9h35), Bâle (9h55) où 2 avions militaires suisses convolent avec lui. Puis ce sera le Weissenstein, Soleure (10h30), Bienne (10h35), Neuchâtel (10h55) d’où il jette une banderole aux couleurs suisses et allemandes à l’extrémité de laquelle se trouve une enveloppe contenant plusieurs lettres expédiées par les passagers à destination de nombreux pays (un futur régal pour les philatélistes). Ramassé par un passant, l’ensemble est remis rapidement à la poste centrale de Neuchâtel. Puis l’on survolera Yverdon et Lausanne (11h25) avant d’arriver à Genève (11h57).

Un grand spectacle à l’heure où tout le monde peut heureusement le voir

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Enveloppe partie d’Allemagne oblitérée à Genève (13h) pour Zurich (Coll. C.Noir).

A Genève, il règne une brume légère en altitude, voilant le soleil du côté nord, que traverse le LZ-127. Il n’est tout d’abord qu’un point brillant, puis une masse d’un gris argent s’avançant au-dessus de la cité. Quatre avions vont évoluer autour du géant, minuscules "plus lourds que l’air" auprès de ce colossal "plus léger que l’air". Au bout du lac le retard est salutaire puisque le dirigeable apparaît enfin juste au moment de la sortie des ateliers et des bureaux, de sorte que presque la totalité des Genevois est dans la rue pour le voir, le regard tourné vers le ciel, guidé par le ronronnement des moteurs. D’innombrables personnes gagnent aussi les toits des maisons pour suivre plus aisément les évolutions de l’appareil. A deux reprises le "Comte Zeppelin" fait le tour de la ville.

Parmi les avions entourant avec prudence le dirigeable, il y a ceux des pilotes genevois Frédéric Dufaux (1881-1962) et Marcel Geneux (1891-1934) du Club Suisse d’Aviation (aéroclub). Ce dernier, à bord d’un Gipsy-Moth biplace, emmène avec lui le photographe de la Tribune de Genève P.Geiselhard. Ils ont décollé de Cointrin à 11h50 engoncé dans des vêtements de cuir, le visage au vent. Pour faciliter la prise de photos, on a ôté le petit pare-brise devant le journaliste. Finalement 3 avions ont quitté Cointrin et partent à la rencontre du zeppelin qu’ils rejoignent peu avant Nyon et l’escortent. Par mesure de sécurité on a convenu d’un sens de rotation unique autour du LZ-127. Geneux fait donc un circuit à gauche pour offrir au photographe le meilleur angle de vue par rapport au soleil. Peu avant l’arrivée dans la Rade, le Junkers F-13 d’Ad-Astra-Aero, et ses passagers, rejoint le groupe ; il relie régulièrement Zurich à Genève et quittera rapidement l’escadrille pour se poser à Cointrin.

"Docile aux désirs de Geiselhard cherchant la meilleure position pour braquer son objectif, l’avion de Geneux se rapproche fréquemment du dirigeable dont la teinte argentée se confond parfois avec l’azur du ciel. Geiselard réussit à photographier le monstre aérien de face, puis il le suit en faisant de nombreux crochets pour varier sa position afin d’avoir sur ses plaques non seulement le ballon, mais aussi le paysage sur lequel il évolue. Il est malaisé de concevoir les difficultés qu’il doit vaincre pour mener à bien sa tâche. Son siège, dépourvu de pare-brise, est cinglé par le vent furieux de l’hélice qui aplatit le soufflet de son appareil photographique. Afin de protéger celui-ci, Geiselard doit se lever du siège et de se livrer à une incroyable gymnastique pour prendre quelques clichés. A un moment donné, l’avion de Geneux s’approche à moins de 30m de la pointe du Zeppelin. Geiselard veut photographier d’aussi près que possible la grande nacelle de l’avant. Mais du poste de pilotage, un hublot glisse et le pilote furibond d’un geste impérieux du bras, signifie à l’avion de piquer sous la nacelle. Ayant épuisé toutes ses plaques, Geiselard abandonne la chasse et Geneux, rapidement, ramène l’avion sur le terrain de Cointrin où les autres appareils se sont déjà posés."

Le courrier largué du Zeppelin sur la gare Cornavin

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Une des cartes postales larguées sur la gare de Cornavin le 26 (Coll. C.Noir).

Mais le public ignore que le dirigeable est chargé d’une mission bien particulière derrière ce voyage d’agrément. En accord avec les postes suisses, dès son départ, il a largué une douzaine de lots de courrier dans les villes d’Helvétie citées, plus de 1.800 courriers constitués d’enveloppes et de cartes, effectuant ainsi un test en grandeur nature durant son périple. Si bien que lors de son 2ème tour de ville de Genève, à la hauteur du quartier de Cornavin, le zeppelin laisse choir 2 pochettes. Elles tombent sur la gare de Cornavin et l’on en retrouve une sur le toit du dépôt des machines et l’autre, à 50m de là, dans la cour de la gare de marchandises. Les pochettes sont ramassées par un mécanicien des CFF venu du dépôt de Lausanne qui les porte au bureau de transit à la gare. Elles sont ensuite transmises à la direction des postes pour être expédiées à leurs destinataires qui habitent en Allemagne, Autriche et en Suisse allemande. Avec ces 286 courriers, ce sont à nouveau les philatélistes qui vont être contents !

L’énorme Zeppelin prend ensuite de la hauteur et s’estompe légèrement dans la brume. Mettant le cap au nord il s’éloigne peu à peu, diminuant de taille à chaque seconde. "Il n’est bientôt plus qu’un point ténu dans l’espace absorbé par la brume". Le "Comte Zeppelin" passe au large d’Evian sur la côte française, survole Montreux (12h40), Fribourg, Berne (13h35) où il fait 3 tours au-dessus de la ville : "Mr. Lindt, président de la ville, adresse ses souhaits de bienvenue par radio au Dr Eckener et le félicite pour son œuvre". A 13h55 le "Comte Zeppelin" disparait dans la direction de Lucerne via Schwyz. Puis il survolera Zurich, St-Gall et s’en retournera à Friedrichshafen où il s’amarre à 17h après un voyage de 8 heures et demi.

Ces largages de courrier vont continuer durant les deux jours qui suivent. Toujours au départ de Friedrichshafen, le "Graf Zeppelin" fait un vol direct vers Genève où 183 courriers sont largués le vendredi 27 septembre. Au retour, les villes d’Interlaken et d’Einsiedeln sont aussi abreuvées. Le samedi 28, lors du dernier vol, le LZ-127 redescend d’Allemagne mais ne dépassera pas cette fois-ci la ville de Lausanne.

Il est très rare de voir un facteur avec tant d’embonpoint survoler Genève. Mais un an plus tard le LZ-127 "Graf Zeppelin", se posera une unique fois sur l’aérodrome de Genève-Cointrin, transportant des personnalités et bien sûr un sac postal à l’arrivée et au retour. (voir :Récit). On n’a plus jamais revu depuis de courrier largué sur Genève. Quatre-vingt ans plus tard, les enveloppes et cartes postales qui ont réussi à traverser le temps ont acquis une place d’honneur dans les collections philatéliques. Il faut imaginer que si une enveloppe oblitérée d’un cachet rouge avec la marque du Zeppelin, larguée le 26 septembre 1929, coûte aujourd’hui plus de 300F pièces, celle du 27 septembre atteint une valeur de 450 à 600F suisses. D’autres courriers, lâchés en nombre limité sur certaines villes durant les mêmes voyages peuvent même atteindre la cote de 6.000F pièce, Kolossal !

 

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Le LZ-127 "Graf Zeppelin" au-dessus du casino le "Kursaal" à Genève le jeudi 26 septembre 1929.
Par : 
Le :  vendredi 21 novembre 2008
  • Pour plus d’information, voir : Dirigeables, histoire illustrée des navires aériens, d’Henry Beaubois. Ed Edita, 1973, ills, à la "Librairie".
  • Le Graf-Zeppelin au-dessus de Genève en 1929 (vidéo-diaporama musical, 02’’’, 43Mo). Nécessite le plugin QuickTime 7.1.3 minimum.

     
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