Le site des pionniers de l’aéronautique à Genève 
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Premiers souvenirs d’écolage de Marcel Weber : quelques candidats ou appareils récalcitrants (1918)

 

La formation d’élèves civils à l’école "Aéro" entre 1916 et 1919 connait plusieurs moniteurs. C’est au tour du Genevois Marcel Weber, fraîchement libéré de l’armée, en juin 1918, de former une poignée de candidats. Les avions biplaces faits maison sont de braves aéroplanes sous motorisés assez faciles à réparer. Quant aux élèves, peu nombreux, ils sont hétéroclites.
- Voilà probablement les tous premiers témoignages d’une école de pilotage civile de Romandie en plein essor, en 1918.


Le terrain en herbe de l’aérodrome de la Blécherette jouxte une ferme entourée de cerisiers plus âgés que l’aviation. Si vous pouvez vous poser un jour dans un cerisier immobile, vous le ferez peut-être une autre fois sur un porte-avions qui tangue ( ?). Marcel Weber est aux commandes !

Au temps du "rototo" des cerises et des fermes fleuries

En 1910, à 60 km de Genève, le Lausannois Edouard Pethoud (1877-1946) est devenu un enthousiaste de l’aviation après un stage pratique chez le constructeur français Sommer à Mourmelon. En septembre 1915, il fonde l’Ecole Supérieure d’Aéronautique de Lausanne "Aéro" et un atelier d’aviation à la Blécherette. En pleine Première guerre mondiale, l’école "Aéro" est la seule école civile d’aviation fonctionnant en Suisse. L’école fabrique ses propres appareils, les "Aero". Au printemps 1917, le 1er instructeur de vol est G.Barbatti jusqu’à fin 1918 (voir : Récit). Il sera brièvement rejoint par Marcel Nappez (1918) qui est remplacé par le Genevois Marcel Weber, présent dès juin 1918 et pour une année (voir : Biogr).

Marcel "Noël" Weber décroche là son 1er job civil. Avant cela il fut mécanicien sur l’aérodrome de Villacoublay (F) en 1914-1915 ; il fit en Suisse son école de recrue (carabiniers VI/2) terminant caporal (1915-1916). Puis, à sa demande, il est mobilisé dans la troupe suisse d’aviation à Dübendorf : école d’aspirant (1917) ; nommé lieutenant (31.12.1917), il est formé au pilotage par Alfred Comte et O.Bider. Le 18 mars 1918 Weber décroche son brevet de pilote civil (no.125), suivi en mai du brevet militaire et du brevet commercial pour hydravion (no.9). Nb : Genève ne possède pas encore d’aérodrome cantonal, cela ne viendra qu’à l’automne 1920.

L’Ecole "Aéro" est dirigée par l’ingénieur et constructeur Riccardo Brauzzi, professeur, licencié en sciences physiques, aéronaute, aidé de sa femme Solange. En 1918 l’avion école type est un "Aero-no.4", monoplan biplace de type Blériot XI, équipé d’un train d’atterrissage d’avion Grandjean et tracté par un moteur rotatif Gnôme de 50 CV. Il y a alors 4 appareils. Les élèves sont eux très cosmopolites puisqu’on y croisera 14 nationalités et autant de langues parmi les 45 premiers élèves. Un dévoué moniteur doit forcément pouvoir s’adapter à tout cela…..

 

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Ambiance Blécherette 1918 : un Aero-4 en phase d’atterrissage.

Un avion têtu comme un âne, dans un paysage bordé d’arbres fruitiers

Cheveux châtains, yeux gris-vert, 1,77m, Weber est d’un tempérament calme et réfléchi. Il n’est pas un hâbleur. On l’interview en 1941 : "Beaucoup d’élèves ?" Weber : "les élèves pilotes étaient rares, 5 ou 6 seulement mais beaucoup d’aventures. Je me souviens très bien qu’à cette époque où j’étais jeune chef-pilote de l’école, je ne doutais de rien, et l’on m’aurait fait voler sur une porte de grange, si on y avait mis un moteur. Il était permis d’y voler presque sans restriction. Mon appareil était un frêle monoplan propulsé par un 50 CV. J’avais beau tirer à bloc sur le manche à balai quand il ne voulait pas monter, il n’y avait rien à faire. Il était têtu comme un âne !"

- M. Weber : "Ainsi, une fois, il prit à ce vilain coucou la lubie de plus rien vouloir entendre alors que j’arrivais au-dessus d’un verger. Impossible de monter d’un mètre. Il ne restait qu’une solution : poser l’appareil sur un arbre. Un cerisier me tendait les bras. Il m’accueillit le plus aimablement du monde. Un peu rudement mais enfin sans me faire la moindre égratignure."

- "Je me dégageais des débris de mon appareil et, comme un maraudeur je me laissai glisser le long du tronc. Jugez de ma surprise en découvrant au pied de l’arbre une femme étendue ne donnant pas signe de vie. - … ? – C’était une bonne dame qui tricotait à l’ombre du cerisier où je venais d’accrocher mon "zinc". Elle s’était tout bonnement évanouie de frayeur. Avouez qu’il y avait de quoi ! "

 

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Aero no.4.

L’élève, une forte tête, mais paralysé par la peur !

- Un élève un peu spécial : M. Weber : "Un jour vint se présenter à moi un monsieur qui désirait passer son brevet de pilote. Il avait déjà fréquenté une école étrangère et sa formation, disait-il, était assez avancée pour lui permettre, après quelques vols de passer les épreuves imposées. Il voulait commencer tout de suite, malgré que, ce jour là, les conditions atmosphériques ne fussent pas favorables car il soufflait un vent d’ouest assez fort. Et quand le vent soufflait, il n’était certes pas facile de voler avec un de ces monoplans dont le moteur rotatif qui l’équipait avait perdu depuis longtemps une partie de ses 50 CV d’origine. Je n’étais pas très emballé de commencer ce premier essai dans ces conditions, mais mon jeune excité était tellement affirmatif, et à l’entendre il avait une telle expérience, que je me laissai convaincre de le mettre à l’épreuve immédiatement."

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Deux élèves et Marcel Weber.

- L’extraordinaire aventure : "Déjà, pendant que nous roulions au sol, alors que je lui laissais faire cette manœuvre, j’avais l’impression qu’il avait dû beaucoup oublier de tout ce qu’il disait avoir appris ! Après bien des efforts, l’avion fut amené face au vent ; et a plein gaz, nos partions pour l’aventure. Je laissais faire mon "candidat" au brevet, et lui, je pense, laissait faire l’avion, si bien qu’après avoir roulé quelques mètres, je dus couper le contact pour ne pas compromettre définitivement la partie avant même d’avoir décollé. Grande explication, "discutage du coup" et nouveau départ. Mais la même plaisanterie recommence … les mêmes explications aussi, et après qu’il eut été convenu que je ferais le départ seul, et que ce n’est qu’en vol que mon élève reprendrait les commandes, nous voilà repartis pour la 3ème fois."

- Un fou dans le fuselage : "Tout alla bien jusqu’à 150m, bien que nous fussions terriblement secoués. J’avais mon élève devant moi, qui comme nous l’avions convenu, reprit lui-même les commandes. Chacun sait qu’il n’y a aucun effort spécial à faire et que les commandes d’un avion sont douces à la main. Or je sentais celles-ci devenir de plus en plus dures, ce qui était le signe évident que mon coéquipier se crispait et se cramponnait au manche à balai, m’empêchant de manœuvrer pour maintenir la stabilité de l’avion. C’était un costaud ! Il est habituel dans ce cas, de secouer vigoureusement le manche pour faire comprendre à l’élève sa faute ; et ordinairement, sous cette impulsion énergique, il abandonne la conduite au moniteur. Mais cette fois il n’en fut pas ainsi, et la peur aidant, mon élève mettait toute son énergie à immobiliser le manche à balai. A demi évanoui et paralysé par la peur il se cramponnait au manche à balai, l’immobilisant complètement. La situation devenait tragique car l’avion ne volait plus normalement ; malgré tous mes efforts et mes cris, je ne parvenais pas à lui faire lâcher prise. Je me trouvais aussi impuissant à vouloir remuer ce manche que je l’aurai été à vouloir ébranler un candélabre électrique tel qu’on en voit le long de nos avenues. C’était une blague qu’il ne fallait pas s’amuser à faire avec les machines de l’époque. Et ce qui devait arriver se passa très vite ! Nous étions en perte de vitesse dégringolant vers le sud."

- Boxe en plein ciel : "Je me dressais debout dans l’avion, essayant, à l’aide de mes poings, d’assommer mon bonhomme pour lui faire lâcher prise. "Lâchez !" lui criais-je. Avec l’énergie du désespoir, je lui martelais la tête, bien décidé à lui faire payer un tel entêtement et une telle bêtise. Je le revois toujours, comme si cela était hier, s’effondrer dans la carlingue en même temps qu’il perdait ses lunettes et qu’elles s’envolaient. Nous approchions du sol à une vitesse folle, l’avion complètement désemparé. Et pourtant, au moment où je vis partir ses lunettes, il me prit un rire nerveux. Je trouvais aussitôt drôle que l’on puisse perdre ses lunettes, juste avant de s’écraser au sol et j’imaginais que ce myope privé des siennes serait gêné pour mourir convenablement. Je me laissais retomber sur mon siège, parvenant à rétablir un peu l’avion avant qu’il ne prenne contact avec le sol, au milieu de beaucoup de bruit et de débris. Une chance inouïe nous faisait sortir de là sans mal. Une chance extraordinaire, ni l’un ni l’autre ne furent blessés. Mais nous l’avions échappé belle !"

 

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17 octobre 1918 : brevet de Pierre Avanzini (pull clair). De g. à dr. : Weber est 2ème, Pethoud 4ème.

- Et course à pied… : "Quand j’eus constaté et admis la situation, il me prit une rage folle, et sortant de mon amoncellement de toile et de bois, je commençais à dire à mon type toutes les injures que je connaissais et je crois que je l’aurai tué si j’en avais eu les moyens. D’abord interloqué, n’ayant probablement rien compris à tout ce qui s’était passé pendant ces quelques secondes, il prit soudain peur et s’enfuit en courant à travers les champs. Je ne l’ai plus jamais revu ! Les mécaniciens de l’aérodrome accouraient. Depuis le sol, ils avaient suivi toute la scène. J’ai su ensuite qu’ils me croyaient devenu subitement fou à me voir debout, hurlant et gesticulant, dans cet avion qui tombait !"

La passion de l’aéronautique mais surtout de l’écolage

Malgré tout, parmi les premiers élèves brevetés de Marcel Weber de 1918, il faut citer Jean-Jacques Cuenod (né en 1897) brevet no.140 du 08.08.1918 ; Adolph Otto Schaer (né en 1895), brevet no.141 du 15.08.1918 ; le Tessinois Pierre Avanzini (1889-1973) brevet no.142 du 17.10.1918 (notaire à Curio, TI) ; et l’Argovien Werner Leutwyler (né en 1897) brevet no.143 du 17.10.1918.

Puis, en juin 1919, Weber pilotera des hydravions sur les lacs suisses pour la Cie genevoise Avion Tourisme SA, qui deviendra Ad Astra Aero. Avec la naissance de l’aérodrome de Genève-Cointrin, il est nommé directeur du lieu (1922). C’est là que lui reprendra la pratique de l’écolage, d’abord à titre privé puis rapidement pour l’Aéro-Club de Genève (1926). S’en suivra l’acquisition d’avions biplans biplaces "Moth" de Havilland etc. jusqu’à ce que Weber se mette à son compte et devienne l’importateur suisse des appareils de Havilland (1934). Weber formera ainsi des dizaines de pilotes privés à Cointrin jusqu’en 1961. Devenu capitaine et instructeur il forma avant cela des aspirants militaires au vol de base et à la voltige aérienne à bord de biplans Bücker durant la 2ème guerre mondiale, à Lugano. Weber était reconnu comme un excellent instructeur, entre autres (voir : Récit).

Parmi toute cette activité et responsabilités, "Noël" Weber vécut 50 "pépins" aériens sérieux, dont les 2 épisodes décrits ci-dessus, mais sans jamais être blessé. La chance ! Son dernier avis d’instructeur est rassurant (6.500h de vol en 1941) : "Avec les avions actuels, on ne risque plus grand chose. Mais avant de confier la double commande à un élève, on l’habitue d’abord à voler comme passager."

 

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La ferme de la Blécherette, le hangar, les cerisiers et le Handley-Page G-EATL (été 1920).
Par : Jean-Claude Cailliez
Le :  vendredi 5 septembre 2014
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