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Quand Charles Lindbergh et Madame alaquaient dans la Rade de Genève (1933) [vidéo]

 

Très célèbre après la 1ère traversée aérienne de l’Atlantique (1927), Charles Lindbergh parcourt les rivages de plusieurs océans à la recherche de futures escales aériennes commerciales. A bord d’un hydravion rapide accompagné de son épouse faisant office de radio-télégraphiste, il fait escale dans plusieurs villes dont Genève tout en réalisant presque à chaque étape un exploit aérien.


M. le conseiller d’Etat Turrettini et diverses personnalités, accueillent Charles Lindbergh (au centre, nu-tête) à son arrivée à Genève, le 8 novembre 1933 (CIG [1]).
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  • A la recherche de nouvelles escales commerciales aériennes

    En 1933, la Pan American Airways (PAA) charge à nouveau Charles Lindbergh (1902-1974) de découvrir de potentiels lieux d’escales qui permettront à des hydravions commerciaux de relier cette fois les Etats-Unis à l’Europe. Cela concerne tout autant les fjords marins que les fleuves, lacs ou archipels de l’Atlantique servant d’aéroports de secours. Plusieurs de ces sites n’ont encore jamais vu d’hydravion ou n’ont pas de dépôt d’essence ou d’infrastructure. Il ne suffit donc pas d’atterrir quelque part, il faut aussi pouvoir en repartir avec le plein de carburant ! Un navire atelier-ravitailleur, le S.S. Jelling, sera à disposition du couple dans l’Atlantique Nord.

    Une partie du voyage comprendra encore une mission d’exploration de terres inconnues du Groenland ainsi que deux semaines de vacances en Suède, pays où naquit le père de Charles. Une préparation minutieuse du voyage est ainsi nécessaire. L’hydravion est équipé de matériel pouvant faire face à différentes situations de survie en mer, dans les glaces ou sous les tropiques. Parti de New York au début juillet 1933, le couple va réaliser un périple de 47.000 km, qui durera plus de 5 mois, en 51 étapes, au gré de météos variées, visitant quelque 23 nations actuelles et traversant l’Atlantique avec un passager, ceci avec le même moteur.

    Une escale genevoise impromptue

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    Charles Lindbergh sort de la salle de l’Alabama (Chancellerie d’Etat).

    En novembre 1933, les 32 escales de l’hémisphère nord ont pris plus de temps que prévu. Les Lindbergh ne peuvent plus rentrer par la route de l’Atlantique Nord et sont contraints d’envisager et d’improviser une route par le sud. C’est pour cela que le consul suisse d’Amsterdam téléphone inopinément à Genève, le mercredi 8 à 11 heures, informant Ulrich Keller, directeur local de la Swissair (Cointrin), que le colonel Lindbergh et sa femme vont se poser dans la rade dans la journée ! La veille, le couple a essayé de rejoindre Genève mais un fort brouillard sur le Benelux l’a contraint à voler en rond durant 4h30’ pour finalement se poser à Rotterdam. La 34ème étape est la bonne, il quitte la Hollande à 11h38 GMT par temps brumeux et fort vent arrière. Il alaque[2] à Genève à 15H50 heure locale.

    Bien que Genève soit prise de court, une belle délégation de personnalités est massée dès 14h30 sur le quai de la Société Nautique au Port Noir. On cite le conseiller d’Etat Edmond Turrettini (1874-1951), le capitaine Marcel Weber (1896-1975) représentant l’Office fédéral de l’Air (voir : Biogr.) ; Hugh Wilson ministre des Etats-Unis à Berne et chef par intérim de la délégation américaine à la conférence du désarmement (en cours à l’ONU/SDN) ; Prentiss Gilbert consul général des Etats-Unis ; Krauer consul général d’Allemagne ; Zoller chef de la police ; Albert Schmidt ( ?-1964) président de la Nautique ; Maurice Duval (1879-1941) président de la section genevoise de l’Aéro-club (CSA) (voir : Biogr.) ; diverses autres personnalités genevoises, plusieurs membres de la délégation américaine à la dite conférence ainsi que "de nombreuses dames". Au grand pavois de la Nautique, les drapeaux américain et suisse sont hissés. C’est un bel endroit pour accueillir les aviateurs puisque le bâtiment de la Nautique, flambant neuf, fut inauguré le 8 juillet. De plus, il fait un temps splendide !

    Nos célèbres et charmants visiteurs

    Venant du nord et après un grand virage à gauche, l’hydravion se pose face au vent à la hauteur de Cologny. Un bateau de la police guide l’appareil jusqu’à la Nautique où on l’amarre. MM Schmidt et Weber ramènent le couple dans un canot automobile. Trois coups de canon (Nautique) sont tirés dès les Lindbergh à terre. C’est l’heure des félicitations, des discours et des honneurs. On sait que Charles a horreur de la foule. Il est fort habile pour dépister les photographes. Ces derniers l’attendent avec impatience et ont bien du mal à faire leur métier (il existe peu d’images connues de l’événement). Surprise, Anne Morrow-Lindbergh (1906-2001), épouse du pilote, écrivain et fille d’ambassadeur, parle français !

    Longuement acclamé par le public, les Lindbergh sont emmenés à l’hôtel des Bergues où ils logent dans l’appartement réservé au conseiller fédéral Guiseppe Motta. Vers 18H, Lindbergh retourne à la Nautique et vérifie le ravitaillement de son appareil qui est surveillé en permanence par deux gardes. Puis, à 22H, il dîne en ville avec des personnalités américaines. Retour au Bergues à 23H. Durant cette journée et les suivantes, comme à chaque escale, les Lindbergh ne se départissent pas de leur calme, leur courtoisie, leur sereine modestie, devant les foules enthousiastes, les journalistes et ceux qui les accostent.

    Jeudi 9 novembre 1933 : politique et commerce

    Ce voyage n’a rien à voir avec du tourisme. Le pilote doit s’entretenir à chaque étape avec les responsables du monde aéronautique sur toutes les possibilités d’expansion des lignes aériennes et répondre aux nombreuses sollicitations des ambassades. L’après-midi est donc assez chargée. Les Lindbergh ont visité la ville puis se sont rendus vers 16h à l’aérodrome de Cointrin où ils sont reçus par le capitaine Marcel Weber. Pendant plus d’une demi-heure, l’aviateur américain visite les installations de l’aéroport et examine en connaisseur les appareils et les hangars. De retour aux Bergues vers 18h, Lindbergh reçoit la visite de notre « as » Walter Mittelholzer qui a atterri à 17h05 à Cointrin, venant de Rabat. Le soir, le Conseil d’Etat reçoit le couple en présence du consul des Etats-Unis et des conseillers d’Etat P.Lachenal, A.Picot et E.Turrettini. La cérémonie se tient à la Chancellerie d’Etat, dans la Salle de l’Alabama où fut signé un traité entre l’Angleterre et les USA (1872).

    Vendredi 10 novembre : aviation et tourisme

    Dans l’espoir de voir l’hydravion de Lindbergh reprendre son vol, de nombreux curieux stationnent aux abords de la Nautique pour rien. Bien protégé par les jetées, l’hydravion de grand tourisme noir et orange se balance mollement sur les eaux tranquilles. Il a reçu son plein d’essence. A 10h15, Lindbergh arrive en coup de vent. Il scrute le ciel et s’assure que son avion est toujours solidement retenu à la bouée. La police désire savoir si la surveillance doit se poursuivre. L’américain répond qu’il ne partira pas aujourd’hui, les étapes suivantes du périple sont en cours de négociation ! Puis il s’en va rejoindre son épouse dans le taxi 167 piloté par Paul Henry qui les conduit au monument des Réformateurs, aux Bastions, à la Haute-Ville et à la cathédrale St-Pierre.

    A 11h, les Lindbergh sont de retour aux Bergues où ils reçoivent avec une véritable satisfaction M. Schmidt, avec lequel ils s’entretiennent pendant deux heures. Ils le remercient pour toutes les mesures de sécurité prises pour la protection de l’hydravion. C’est la première fois, semble-t-il, qu’ils sont complètement rassurés. Lindbergh ne cache pas son plaisir d’être à Genève où il prend enfin un peu de repos. La grande simplicité des réceptions organisées depuis son arrivée lui plaît. Il souhaite être tranquille et les journalistes genevois se montrent très corrects !

    Samedi 11 novembre : après la neige, le départ

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    Depuis le Club-house de la Société Nautique de Genève, le puissant hydravion des Lindbergh se profile dans la rade. Au mât les drapeaux suisse et américain (CIG [1]).

    Tôt le matin, le ciel est hermétiquement bouché et il neige à gros flocons. Peu à peu le temps s’améliore. Lindbergh fait une rapide apparition à la Nautique vers 9h et regagne les Bergues après s’être assuré que tout allait bien. Le départ est aussitôt décidé. A 10h à la Nautique, les bagages des Lindbergh consistent en deux valises de cuir à fermeture éclair et un sac de marin en toile. Dans la salle du comité les Lindbergh se préparent en présence de M et Mme Prentiss Gilbert. Anne a revêtu un costume masculin kaki recouvert d’un épais chandail blanc en poil de chameau et chausse de courtes bottes fourrées. Charles l’imite. La nouvelle du départ s’est vite propagée en ville et de nombreux curieux se massent aux abords du monument du Port Noir tandis que la Nautique voit affluer les journalistes, photographes et personnalités.

    A 10h30, M. Keller (Swissair) s’entretient avec Lindbergh sur les conditions météo communiquées à Cointrin. Les deux aviateurs examinent minutieusement la carte de la vallée du Rhône jusqu’à Marseille. Keller pointe les divers sommets et marque d’une croix rouge l’emplacement le plus favorable pour un alaquage[2] sur l’étang de Berre, proche de Marseille. Quant aux conditions météorologiques, elles sont bonnes : ciel couvert jusqu’à Lyon, puis larges éclaircies et beau temps à l’arrivée. M. Keller a souvent fait ce trajet et Lindbergh est donc très satisfait des informations. Très calme et souriant, Lindbergh s’entretient amicalement avec les journalistes et s’intéresse beaucoup aux jeux d’une famille de cygnes évoluant gracieusement autour de l’hydravion. Il accepte avec un grand plaisir d’être nommé membre d’honneur de la Société Nautique, distinction uniquement accordée alors au grand navigateur solitaire Alain Gerbault.

    Cap au sud à la recherche d’un passage sur l’Atlantique

    Peu après 11h, une large éclaircie se produit au-dessus du Salève. C’est la môlaine de bise qui annonce le beau temps. Voici maintenant les Lindbergh prêts au départ. Ils prennent congé de toutes les personnes présentes, montent dans le bateau de police et regagnent l’hydravion près de la bouée. Le pilote escalade la carlingue et s’empresse d’installer son épouse à l’arrière. A ce moment les couleurs américaines et suisses montent au grand mât. L’amarre qui retient l’appareil est larguée. Une tête casquée de cuir, une autre recouverte d’un passe-montagne apparaissent au niveau des pare-brise. Le moteur est mis en marche. Le canon de la Nautique tonne et l’hydravion tourne lentement dans le port au grand dam de la famille de cygnes, puis file dans la direction du parc Mon Repos.

    Il est 11h34, l’hydravion trace un grand cercle sur l’eau devant le parc, jusqu’à midi, car il faut d’abord chauffer le moteur. A ce moment le ciel commence à s’éclaircir dans la direction du Fort l’Ecluse et de larges trouées bleues apparaissent. A 12h05 on entend le moteur gronder plus fort et dans un gros bouillonnement de vagues, l’appareil file rapidement en direction de Cologny. Il décolle en 35 secondes, prend de la hauteur, revient survoler la Nautique et, de 100 m de haut, les Lindbergh penchés hors de la carlingue saluent une dernière fois la foule qui agite chapeaux et mouchoirs. Le « Tingmissartoq » file à une vitesse impressionnante vers la rive droite, survole le futur palais des Nations, puis, politesse d’aviateur, passe au-dessus de Cointrin et monte vers le ciel bleu qui l’absorbe.

    Traversée record de l’Atlantique, avec passager

    Le soir, on apprend que les Lindbergh ont poussé jusqu’à la frontière Hispano-portugaise. Il leur reste à trouver d’où ils pourront traverser l’Atlantique en une seule traite et à plein chargement. Après avoir testé les Açores et les Canaries, Lindbergh démontre sa qualité de grand pilote et fait la démonstration des qualités de son appareil. Depuis la Gambie (la fièvre jaune sévit à Dakar), il attend calmement les conditions favorables, puis l’avion rejoint le Brésil en un vol de 15 heures (3.150 km) le 6 décembre, réalisant le 1er vol transatlantique avec un passager. S’ensuivront diverses étapes vers les USA. Exploits personnels supplémentaires, il est rare de voir un pilote assumer seul, ou à peu près, les visites techniques de son appareil, de se préoccuper des conditions de vol à venir sur un périple de cette envergure, alors que son épouse gère les communications radio.

    Ce voyage rapporta finalement d’énormes bénéfices à la PAA. Lindbergh démontra que malgré des conditions météo adverses ces vols étaient surmontables avec l’aide d’une radio qui fonctionne. Concernant les lignes atlantiques au-delà du 50ème degré nord, Lindbergh préconise notamment l’utilisation d’appareils de type monoplan cantilever moins sensibles aux grands vents et équipés de systèmes de dégivrage.

     

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    Par : Jean-Claude Cailliez
    Le :  mercredi 22 juin 2005

    [1] CIG : Centre Iconographique Genevois. [2] Au début du 20ème siècle on distinguait les verbes : atterrir, amerrir et alaquer (lacs). [3] Il est curieux de constater qu’aucun ouvrage d’aviation suisse n’avait relaté cette unique visite helvétique surprise qui voit un grand homme de l’air rendre hommage à notre petite République du bout du lac.

  • La visite des Lindbergh fut traitée dans le bulletin de l’Aéroclub de Genève "La Feuille Volante" no.90 de novembre 2004.
  • Pour plus d’information : le site de la Fondation Lindbergh.
  • Il existe de très nombreux ouvrages relatifs à Ch.Lindbergh, à ce sujet, s’adresser à la "Librairie ".
  • [2007] Les Lindbergh à Genève, nov. 1933 (vidéo-diaporama, N&B, sonore, 01’33’’, ≈44 Mo), nécessite le plugin QuickTime 7.1.3 minimum.

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